Chronique et Histoire Universelle

Chronique et Histoire Universelle

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Sur le printemps de l'an mil cinq cens ſoixante ſix, le
Baſſa de Bude commença dc faire ſes preparatifs pour la
uerre, le ſixieſme iour de Iuin mit aux champs huit mil
ommes de picd,puis aſſiegea Palote,& par l'eſpace de hutt
iours la battit de vingtcinq pieces, ne laiſſant vn ſeul på de
muraille debout,& rcduiſant les aſliegés à gråde extremité.
Toutesfois par la ſageſſe de Gcorge Tburci,qui cómandoit
dedans la place, les Turcs furent repouſſez,& cependant le
Comte deHelfeſtein aEprocha de Palote auec douze enſei
gnes de Lanſquenets, ce qui fit deſcamper le Baſſa auec ſes
troupes le treizieſme iour du meſme mois , laiſſant quel
ques caques de poudre & tentes dreſſees, tant ils deſloge
rent haſtiuement. Quinze iours apres les Comtes de Salme
& d'Helfeſtein aſſiegerent & prindrent en vn meſme iour
la ville & le chaſteau de Veſprin,tuäs tous les ſoldats Turcs
qui y eſtoyent en garniſon. Et puis que nous ſommes ſur
les exploits du Comte de Salme, nous pourſuiurons tout
d'va fil ce qu'il fit au meſme temps. Ainſi donc,le vingtv

nieſme iour de Iuillet,eſtant ſorti de Iaurin,il s'alla camper
deuant vne place forte nommee Tate, & apres l'auoir batue
de ſix pieces,il fit döner l'aſſaut par mille harquebuziers &
l'eſcalade en autre endroit par mille ha: quebirziers auſſi.
Tâdis que les Turcs eſtoiêt en ces deux endroits pour faire
teſte,lui acompagné de deux mil hómes donne de telle vio
lence à la porte du chaſteau qu'elle fut enfoncee,& tous les
Turcs qui ſe trouuerét en place hachés en pieces, exceptés
cinquante,qui s'eſtans ſauuez dedans vne tour,ſe rendirent
incontinent ſous certaines conditions. Le Comte print toft
apres vn autre ch2ſteau nommé Geſter : ce qui donna telle
frayeur aux Turcs tenâs garniſon das les autres places voi
ſines,qu'ils les abandonnerent,&s'enfuirent à Grä ville for
te & bien munie, laquelle le Comte & ſes capitaines vou
loyent aſſieger:mais pource qu'ils n'auoyent pas grand n3
bre de gens,l'Empereur fut d'auis contraire. Sur la fin de ce
mois & le commencement de l'autre,l'Empereur commen
ca de faire amas de gens à Vienne en Auſtriche pour mar
cher en perſonne à ccſte guerre:car les Turcs auoient aſſie
gé Iule & puis ſe camperent dcuant Zigeth, comme nous le
verrós maintenant.Secours vint à l'Empereur de diuers en
droits:car Albert Laſcográd ſeigneur de Polongne lui ame
na trois mille Polonois. Le Duc de Sauoye enuoya quatre
cens cheuaux ſous la côduite duComte de la Chambrc.Plu
fieurs gentilshommes Anglois s'y trouuerent : & comme
l'Empereur fut arriué à Aldenbourg,le Marquis de Meine
de la maiſon de Guiſe,Lanſac,Stroſfy & autres gentilshom
mes Frâçois,qui s'eſtoyent mis eh chemin pour allcr à Mal
te,entendans que les Turcs s'eſtoiét retirez,apres auoir tra
uerſé l'Italie, ſe ioignirent aux troupes de l'Empereur eu
Hongrie, comme fit auſſi le Duc de Ferrare auec quatre cés
cheuaux & trois ccns harquebuziers brauement equipés.I
té les Ducs Vvolfgang & Richard Palatins du Rhin auec ſix
cens reiſties,& le ſecond fils du Duc de Bauiere auec quatre
cens chetraux. Lazarc Scbuen de, qui eſtoit d'vn autre coſté
auec ſes troupes,desfit dix mille Tartares en plaine campa
gne,& print quelques places ſur George Bebeck qui auoit
, quitté le parti de l'Empereur pour adherer aux Turcs.
L'armee de l'Empereur s'arreſta à Comar, & ne fit rien
que manger le plat pays , laiſſant prendre Iule & 2i
zeth aucc perte des braues hommes qui citoyent dedans,

ſans leur donner aucun ſecours.
Or il faloit conſiderer ces deux ſieges.Le ſecond iour de
Iuillet Pertavv Baſſa & vn des principaux conſeilliers de
Solyman acópagnez de cinq milleTurcs aſſiegerent la ville
de Iule:& toſt apres le gouuerneur de Temeiuuar,les Tar
tares & autres ſe vindrent ioindre auec eux,tellemét que le
camp montoit à pres de trenteſix mille hommes. Ladiſlas
Keretſchin,Hongrois, commandoit dedans Iule, où entre
rent deux compagnies de genſdarmes de renfort.Mais Ke
retſchin n'eſtimant pas la ville tenable,à cauſe des grandes
breſches§du canon des ennemis,y mit
le feu & ſe retira en la baſſe cour du chaſteau auec ſes trou
es.Les Turcs s'eſtans ſaiſis de la ville ruinerent en peu de
iours les defenſes de ceſte baſſe cour, contraignans ceux qui
y eſtoyent de ſe retirer dedans le chaſteau & rompre le pôt
apres eux. Incontinent les Turcs gaignerét ccſte baſſe cour,
& des la nuict ſuiuante commencét à battre les trois boule
uards & la tour du chaſteau ſans aucune intermiſſion, & de
telle impetuoſité quc les aſſiegés ne pouuoient remparer ni
ſe defendre.Outre plus les Turcs firent vne leuee de tcr:e
res de la porte du chaſteau, de telle hautcur qu'elle eſga
§ le répar du chaſteau,S y baſtirêt des engins de tel arti
fice que le feu ne les pouuoit endómager.Cela fait,le troi
ſieſme iour d'Aouſt ils aſſaillent furieuſement ceſte place,
mais ils furent repouſſez auec perte notable.Se voyans fru
ſtrqz de ce coſté ils taſcherent de miner vn autre ramparaſ
ſe#fort qui ſeruoit de beaucoup aux aſſegez,& font tout
ce qui leur eſtoit poſſible pour ſe rédre maiſtres.Kerctſchin
ne )oulant pas venir au dernier hazard eſcriuit vne lettre
qu'il attacha au bout d'vne fleſche,puis la deſcocha au camp .
des ennemis. Ceſte lettre ayant eſté trouuee,incontinét vn
Ture approcha de la porte du chaſteau exhortant à haute
voix Keretſchin d'auoir bon courage, & ce iour me ſire il
receuroit reſponſe ſelon ſon deſir. Les Alemans n'entcn
doyent point ce langage, mais deux capitaines Hongrois
qui ſauoyent parler Turc,ſe doutans de ce qui auint,exhor
tent Keretſchin de ſe ſouuenir de la foy promiſe à l'Empe
reur.Il s'excuſe aucunemét, & par le moyen de George Be
beck (duquela eſté parlé ci deſſus) qui eſtoit en l'armee
Turqueſque il entra en conoiſſance auec le Baſſa,puis com
mença à induire les aſſiegés de ſe rédre vies ſauues,moyen

nant que le Baſſa leur baillaſt oſtages pour leur ſeureté. Ce
qu'eux finalement accorderent,la pluſpart maugré eux : en
telle ſorte neantmoins qu'auant partir le Baſſa les contrai
gnit de bailler quatre mille dallers au capitaine des Ianiſſai
res,leur faiſât à croire que ceſte paye ſeroit cauſe que les Ia
niſſaires feroyent meilleur deuoir de les conſerueri& con
duire en lieu de ſeureté.Ainſi donc ils quittent la place &
ſortent de Iule le ſecond iour de Septembre , auec extreme
honte & rcgret,aſauoir les Alemans,puis les Hongrois,&fi
nalemiét Keretſchin auec deux oſtages baillez par les Turcs.
Les Ianiſſaires marchoyent deuant : & comme les troupes
gaignoyent chemin , les deux oſtages & les conſeillers du
Vayuode de Tranſſyluanie, ſpecialement George Bebeck,
meinent Keretſchin vers le Bafla,ſans qu'il fiſt difficulté d'a
bâdonner ſes ſoldats,& ſe retirer auec les ennemis. A peine
eftoit il arriué en la tente du Baſſa que lesTurcs ſuiuirét in
continent les Chreſtiens,& commencerent à les charger fu
rieuſemét à dos,les Ianiſſaires en teſte,tellemét que la pluſ
part, ayant trop grand nombre d'ennemis ſur les bras, fut
miſerablemét hachee en pieces ſur le champ.Quelques vns
ſe ſauuerét dans les mareſts prochains,où ils demeurerét ca
chez la nuict,puis gaignerét les plus prochains lieux de rc
· traite.Keretſchin qui auoit ſi malheureuſement trahi ſa pa
trie,ſes compagnons , & ſa foy,fut mené à Conſtantinople,
où,pour recompenſe,apres pluſieurs accuſations dreſſees cö
tre lui,à cauſe du rude traitement fait aux Turcs auât ſa re
uolte,ayant à quelelues vns coupé le nez,ou les oreilles,ou
les leures,ou autres membres,Selym le liura es mains des
delateurs qui l'éſerrerét en vn tonneau garni d'vne infinité
de petis clous pointus,& le roulerent du ſómet d'vne m6ta
gne en bas,puniſsâs par ceſt horrible&iufte ſupplice la perfi
die de ce malheureux,ſeruât d'exëple notable à ſes séblables
&môſtrât quelle°iâce il faut auoir aux promeſſes des Turcs.
Venons maintenant au ſiege de Zigeth,memorable pour
la mort de Solyman, du Côte de Serin & autres notables ac
cidens.Nous auons veu ci deſſus la deſcriptiô de ceſte place
en laquelle eſtoit pour lors gouuerneur Nicolas Côte de Se
rin,nat1fdeCroatie,vaillât capitaine,&qui auoit fait de grâds
ſeruices à Ferdinâd & à Maximilian.Icelui entendant qu'v
ne partie de l'armce des Turcs eſtoit en cāpagne pour ve.
nir aſſieger Zigeth,leur enuoya au deuant mille pietons &


cinq cens cheuaux,leſquels firent telle diligéce,& ſe porte
rent ſi diſcrettement & vaillamment,qu'ils les ſurprindrét,
tuerent vn grád nombre d'iceux,mirent le reſte en fuite,en
laquelle pluſieurs ſe noyerent,notament leur principal ca
pitaine, pillerent leur camp, reuindrent chargez d'or,d'ar
gent,tous à cheual,auec vn merueilleux butin de riches pa
uillons,d'armes & autre bagage. Outreplus ils amenercnt
huit chameaux chargez d'argcnt & de meubles precieux
ſoixante cheuaux de ſeruice , cinquante mulets chargez, &
ſix charrettes d'armes & de baſtons que les ſoldats ne pou
uoyent commodément porter, ayant chaſcun d'eux aſſez à
faire à trainer ſa part. Tous les gentil hommes entrerent
dans zigsth auec robes d'eſcarlate, ou paſſementees d'or,&
fourrees de martres ſublines pour la pluſpart. C'eſtoit vne
des plus belles & profitables victoires que les Chreſtiens
euſſent obtenu de long temps ſur les Turcs mais ils ne gar
derent pas long temps leur proye. Car Solyman enuoyain
c6tinent dreſſer vn pont ſur le Draue,afin que ſcn armee a
courciſt chemin.Et pource que celui qui en auoit la charge
ne pouuoit bonnemét executer ſa ccmmiſſion à cauſe des
grandes eaux,Solyman, qtii vouloit ſe trouuer en perſonne
a ce ſiege,extremement deſpité d'vne telle longueur,lui en
uoya vne lettre eſcrite en lettres d'or au bout d'vne ſeruiet
te,contenât que ſi le pont n'eſtoit dreſſé à ſa venue,il le fe
roit eſträgler de ceſte ſeruiette. Cela fit diligenter ce com
miſſaire,& employer tant de gens, iour & nuict, fans eſpar
gner perſonne, qu'on dreſſa ſur les marcſts, eſtangs & lieux
fangeux tant deça que delà le Draue,& ſur le fieuue meſme,
vn pont contenant demi-lieuë dc long , & ce en l'eſpace
d'onze iours.
Le vingticſme iour de Iuillet & les autres ſuiuans, Ca- -
rambei Baſſa, ceux de Boſne & de Bude s'aſſemblent tous à
Albe royale,où Solymä arriua quelques iours apres auec -
ne puiſſante armee. Vrumeli Beglierbei & Akanski Baſa
partirent le dernier iour de ce mois auec nonante mille
Turcs, & ſe rendirent à demi-lieuë de zigeth.Ils furent tcſt
2pres ſuiuis de la bataille en laquelle y auoit cent mille hô
mes. Le troiſieſme iour d'Aouſt Solyman cſtât campé pres
de Siclouſch fit trancher la teſte au Baſſa de Bude, accuſé
d'auoir eu quelque intelligence auec les Chreſtiens,& deux
iours apres ſe rédit en ſon armee pres de zººi ,†

dc Serin auoit ſeulement deux mil trois cens hommes de
guerre,leſquels ne laiſſerent pour leur petit nombre de ſor
tir à l'eſcarmouche & donner de la peine aux Turcs. Or le
ſeptieſme iour du meſme mois les aſſiegeans commencerent
à dreſſer gabions,ſe retrancher, faire des leuees de terre pour
accommoder leur batterie,& le lendemain commencét à ba
tre furieuſement en trois endroits:ce qu'ayans continué ſans
ceſſe, le vendredi ſuiuant le Comte Serin conut que c'eſtoit
vne temerité trop grâde de vouloir garder la vieille &nou
uelle ville auec le chaſteau.Pourtant ſur le ſoir du vendredi
il fit mettre le feu en la ville neufue, dont elle fut entiere
ment ruinee,& ſe retrancha dedans la vieille,qui eftoit plus
grande & plus forte. Mais des le matin du ſamedi ils com
mencerent à battre ceſte ville en trois endroits auec leurs
doubles canons,& d'autrepart dreſſerent vn pont en grande
diligéce ſur les mareſts pour aprocher du Chaſteau & ſe for
tifioyent auſſi dans la ville neufue,tellement que le dixneu
fieſme iour ils ſe rendirent maiſtres de la grande ville, En
ceſte prinſe les aſſiegez perdirent bon nombre de gens , car
ſe voyans forcez à la breſche en voulant ſe ſauuer de viſteſſe
au chaſteau,les Turcs merueilleuſement legers du pied, les
deuançoyent & tailloyent en pieces.Neantmoins la pluſpart
entrerent auec le Comte. Deux iours apres,la batterie com
mença contre le chaſteau par quatre endroits, & les Turcs a
planirent deux chemins, pour en aprocher plus aiſément.
Le vingtſixieſme ils dönerent vn aſſaut pour gaigner la baſ
ſe cour,mais il furent viuemét repouſſez,perdirent vn Baſſa,
& deux enſeignes que les aſſiegez emporterent dans le cha
ſteau, & laiſſerent grand nombre de morts au pied des breſ
ches. - - -
Solyman eſtoit logé à demi quart de Iieuë de Zigeth pres
des vignes en vn village nommé Siclihovv. Des le commé
cement du ſiegc il ſe portoit mal. La reſiſtance des aſſiegez
acreut ſa maladie:ſon aage & les cuiſantes péſees deſquelles
il auoit eſté agité depuis le parricide de on fils aiſné Muſta
pha,pouſſansce corps attenué,firalement le quatrieſme iour
de Septembre, mil cinq cens ſoixante ſix, il mourut,aagé de
ſeptante & ſix ans,ſa vie ayant eſté trauaillée de continuel
les guerres, & ſon gouuernement diffamé d'ambition, perfi
die & cruauté extreme,ſeuls apuis de l'horrible tyrannie des
Turcs , fleaux de Dieu pour fouetter la Chrcſtienté ſouil
lee d'idolatries,impietez & mefchancetez infinies.Au reſté,
Mechmet premier Baſſa de Solyman & quelques ſiens prin
cipaux conſeillers celerét ſi dextremêt la mort de leur mai
ſtre, que les autres Baſſas capitaines , Ianiſſaires & ſoldats,
n'en ſceurent rien du tout, ſinon apres la prinſe du chaſteau
de Zigeth,& que Selym ſucceſſeur de Solymä euſt receu let
tres de Mechmet.Et pour empeſcher du tout que cela ne fuſt
deſcouuert, incontinent apres la mort de Solyman, Mech
met fit ſecrettement tuer le medecin qui l'auoit penſé, crai
gnât qu'il n'en diuulguaſt quelque choſe. Puis les iours ſui
uans, afin de couurir encores mieux ceſt accident, Mechmet
faiſoit ſonner les trompettes, & autres inſtrumens à lama
niere acouſtumee deuât le pauillon de Solyman, auquel auſ
ſi on apreſtoit & portoit à manger, comme quand il eſtoit
en vie.En ccla,Mechmet ſe monſtra treſauiſé : car ſi la mort
de ce grand chef euſt eſté tant ſoit peu eſuentee,les aſſiegez
euſſent reprins courage,les aſſiegeans au contraire quittoy
ent tout pour ſe retirer vers le nouueau ſeigneur. L'Empe
reur & ſon armee euſſent fait dauantage qu'ils ne firent, &
peut eſtre chaſſé entierement lesTurcs.Mais la prinſe de zi
geth,la reception de Selym,& l'ordre qu'il donna prompte
ment aux afaires,furent cauſe que la mort deSolyman ne nui
ſit preſqu cs de rien à ſon armee, & ne ſoulagea aucunement
les afaircs des Chreſtiens: tant c'eſt vne choſe de grand pro
fit en guerre de ſauoir bien employer le temps & s'acommo
der aux occaſions.


Ainſi donc les†& autres ſoldats,e
ſtimans que leur maiſtre fuſt touſiours en vie, preſſoyent les
aſſiegez, tellement que le Ieudi cinquieſme iour de Septem
bre des le matin ils mettent le feu à vne fortereſſe du pre
mier corps d'hoſtel du chaſteau, lequel fut incontinentem
braſé par le vent de midi.Toute la groſſe artillerie de l'Em
pereur eſtoit en ceſte fortereſſe,d'où elle fou droyoit inceſ
ſamment & de quatre endroits à trauers les Turcs. Nonob
ſtant les Ianiſſaires vindrent à l'aſſaut, & apres longue reſi
ſtance des aſſiegez,pource que le feu auançoit, & aprochoit
d'vn endroit où cſtoycnt les pouldres,item que les Turcs 2
couroyent de toutes parts, le Comte voyant qu'il n'yauoit
plus moyen de ſubſiſter là ſe retire viſtement auec le reſte de
fes troupes dâs le deuxieſme corp d'hoſtel qui eſtoit le plus
fort lieu de tout le chaſteau,ayant vn pont entre ce premier
&ſecond corps d'hoſtel.Mais en ceſte retraite il perdit plu
fieurs vaillans hommes,auec les femmes & petis enfans qui
furent emmenez au camp des Turcs.Les viures & munitiös
de guerre auec les edifices eſtans en ce premier corps furét
conſumez du feu,enſemble le butin ſuſmentionné:tellemët
que les Turcs ne gaignerent rien ſinó I'artillerie,de laquel
le ils s'aiderent à canonner ce qui reſtoit.Ainſi le lédemain
feptieſme iour de Septembre,enuiron les ſix heures,ils iet
tent tant de feux artificiels que l'endroit où le Cöte s'eſtoit
retiré fut incontinent embraſé,& lors ils ſe rangent en ba
taille pour auoir les aſſiegez à viue force.Le Comte voyât
qu'il eſtoit impoſſible de plus ſubſiſter là,à cauſe que le feu
†qu'on y peuſt mettre aucun ordre, & que c'e
oit force ou d'eſtre accablé là dedans, ou mourir dehors
vaillâmêt les armes au poing,ſe fit aporter quslqnes preci
eux acouſtremês pour ſe veftir à la guerre,print vn chapeau
de velours qu'il auoit porté le iour de ſes noces, enrichi d'
vn medaillô de grâd pris & d'vn beau pénache, puis fit met
tre en la doubleure de ſon pourpoint cét ducats de Högrie,
afin(dit-il)que ces brigands en me deſpouillant ne ſe plai
nent que 1e ſois vn beliſtre.Cela fait il cómande à ſon va
ct de chambre de lui bailler les clefs du chaſteau, & s'eſtät
fait aporter vn bouclier de moyenne grâdeur,&quatre cou
ſtelas,l'vn deſquels il choiſit, comme plus propre, & qui a
uoit ſerui à ſon pcre , commença à tenir tel langage à ceux
qui eſtoyent autour de lui, Aſſeurez-vous que tant que ie
pourray manier ce couſtelas, perſonne ne m'oſtera ces clefs
ni 1'or q ie porte Les prene qui pourra quâd ie ſeray mort.
I'ay promîs à Dieu de ne me laiſſer môſtrer au doigt par le
cäp des Turcs.Cela dit,il ſort de ſa chambre,le coutelas au
poing,faiſant porter ſon bouclier, & eſtant deſcendu en la
cour trouua le reſte de ſes gens tous aimez & les cimeterrcs
nuds, qui l'attendoyent pour ſortir promptement àcauſe du
feu qui les preſſoit Les ayant encouragez & conſolez ſelon
ue le temps le portoit,& ſur tout aſſeuré chaſcun d'eux de
1a felicité eternelle,promettant demeurer auec eux iuſques
au dernier ſouſpir,apres auoir par trois fois inuoqué le nom
du Scigneur Ieſus , bailla ſon†Laurent Iura
nitſch , Puis fait ouurir la porte du chaſteau, & deſchar
er Prom ptement vn mortier rempli de ferraille qui tua
quelques Turcs. Soudainement parmi l'eſpaiſſeur de la
fumee le Côte auec le bouclier & le couſtelas,ſuiui de tous
ſes ſoldats fort reſoluement ſort en place,&vient aux mains
ſur le pôt côtre les Ianiſſaires,où y eut vne furieuſe meſlee.
Mais finalement le Comte ayant deſia receu deux coups
d'arquebouze,fut frapé du troiſieſme à la teſte,dont il tom
ba par terre.Alors les Turcs commencerent à crier par trois
fois Halla, qui ſignifie Dieu:au contraire les ſoldats Chre
ſtiens reculerent & furent pourſuiuis de toutes parts.Se vo
yans du tout aculez ils vendirent leur peauauant que mou
rir,ſe portans treſuaillamment en ceſte extremité,& furent
hachez en pieces dedans le chaſteau,excepté quelque petit
nombre,à qui certains Turcs laiſſerent la vie, pour en tirer
rançon puis apres.La cour,le pont & les places du chaſteau
eſtoyent tellemét pauees de morts,que lon ne pouuoit met
tre le pied que ſur corps humains,leſquels on retira dâs les
foſſez qui en eſtoyent à demi plains.Cependant le feu gai
na tellement qu'il ſe printaux pouldres, quoy#
ent en vne voulte fort baſſe,&ruinerent de fond en comble
la pluſpart du chaſteau, auecvn nouueau ſaccagement de
Turcs.Le capitaine des Ianiſſaires fit couper la teſte au C6
te de Serin, & l'enuoya à Solymâ duquel†la mort,
& le lendemain elle fut plantee deuant le pauillon de ce
mort, où elle demeura tout le iour,& quiconquc aportoit la
teſte d'vn Chreſtien receuoit pour recompenſe dix ducats,
par le commandement de Mechmet qui faignoit en auoir
charge de Solyman,vſant en cela d'vn nouuel artifice pour
contenter les gens de guerre,les tenir en deuoir,& en haine
contre les Chreſtiens.La teſte du Comte fut puis apres en
uoyee au nouueau Baſla de Bude, qui la fit porter par deux
paysäs au cāp de l'Empereur:& de là elle fut portee en l'a
baye de Saincte Helaine & enterree pres de la premiere fé
me & de trois enfans du Comte, aagé au iour de ſa mort de
quarante huit ans,fort regretté de tous,pour ſa ſageſſe, vail
lance & preud'hommie.
Telle fut l'iſſue du ſiege de zigeth ruiné à coups de ca
non & par le feu,auec la perte des deux mil trois cens hom
mes & autres perſonnes qui eſtoyent dedans , abandonnez
de tout ſecours humain.Les Turcs y perdirent ( par la con
feſſion du capitaine des Ianiſſaires de Bude qui atteſta en a
noir veu les rolles)dixhuit mil hômes de cheual,&ſept mil
le Ianiſſaires,non cóprins les pionniers & autres gens.Apree

cela vne troupe de vingt mille Turcs alla aſſieger le cha
ſteau de Babocze.Les defendans ſommez de ſe rendre firent
refus puis voyans qu'il n'y auoit ordre de tenir,mirét le feu ,
en la place & trouuerent moyen de ſe ſauuer. Autant en fi
rent les garniſons de deux autres chafteaux voiſins. Qui fut
cauſe que les Turcs reſolurét d'entrer en Stirie prouincc li
mitrophe,afin de fourrager. Mais dautant que Charles Ar
chiduc d'Auſtriche eſtoit campé pres de Draue auec groſſe
compagnie pour brider leurs courſes,ils prindrét autre che
min,faiſans cependit vn eſtrange rauage par tout où ils paſ
ſoyent.Meſme ils coururent iuſques à vne lieuë pres du câp
de l'Empereur.Ce que les Baſſas permettoyent,afin d'acc6
moder le camp,& Mechmet auec les conſeillers principaux
sſtovent contens que le ſoldat couruſt le pays,afin de paſſer
ainſi le temps attendant la venue du nouueau ſeigneur, du
quelil faut dire quelque choſe.