Thursday, December 28, 2017

L’homme d’État ottoman, maître du temps : la crise de 1566


L’homme d’État ottoman, maître du temps : la crise de 1566

Nicolas Vatin


Il y a plus d’une manière d’aborder la question du temps chez les Ottomans de l’époque classique. On pourrait sans doute affiner notre connaissance du rythme de leur journée et de leur année. Sur leurs différents calendriers, leurs méthodes de datation et leurs  pièges, nous disposons d’une étude classique de M. et Mme Beldiceanu[1].


M. Sahillioğlu a publié de son côté, il y a plus de vingt-cinq ans, un article fondamental sur les conséquences à long terme, dans les domaines financier et politique, de la contradiction entre les calendriers solaires et lunaires conjointement employés par l’administration ottomane[2]. On pourrait également s’intéresser aux heures diurnes et nocturnes[3], étudier le rapport de la société ottomane au passé et à l’histoire ou encore s’intéresser à sa vision des âges de la vie[4]

J’ai choisi pour le présent volume de traiter plutôt de l’usage politique du temps à court terme, en prenant l’exemple de la crise que durent gérer Selîm II et, bien plus encore, le grand vizir Ṣoḳollu Meḥmed Paşa à l’automne 1566, quand Soliman le Magnifique mourut au milieu de l’armée qui assiégeait la forteresse hongroise de Szigetvár. Il s’agissait de favoriser une succession sans heurt ni dommage alors que l’ennemi était tout près, tandis que le prince héritier résidait à plusieurs centaines de kilomètres de là, dans la ville anatolienne de Kütahya. On voit que c’était bien d’abord une question de temps. Le grand vizir acquit d’ailleurs une gloire considérable pour avoir réussi à cacher le décès du sultan pendant une période inouïe : « Pendant quarante huit jours il ne fit rien savoir au peuple du monde / Les autres n’ont fait durer cette situation qu’une semaine[5]. » Ce distique de Feridûn le dit clairement : par cet exploit sans pareil, Soḳollu Meḥmed Paşa s’était affirmé comme un maître du temps.

L’avantage du sujet choisi réside dans l’abondance de la documentation, puisque nous disposons d’ordres recensés dans le Mühimme defteri V[6] et, surtout, des récits de deux témoins des événements qui appartenaient l’un et l’autre à la clientèle du grand vizir, son bras droit Feridûn[7] et, plus proche des soldats, Selânikî[8]. L’intérêt de leurs versions des faits, indépendamment de leur valeur documentaire, est de nous présenter une vision ottomane contemporaine des événements.
C’est à partir de ces sources que je tenterai – très modestement – de décrire les facteurs naturels qui pouvaient influer sur la gestion politique du temps, puis les contraintes imposées par la société elle-même (et plus particulièrement par les calendriers), avant de tenter de voir comment un homme d’État ottoman comme Ṣoḳollu Meḥmed Paşa tenait compte dans son action de ces contraintes, et le cas échéant en jouait.

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Gérer le temps, c’est d’abord tenir compte de facteurs naturels, liés à la géographie, au climat, ou à la vie.

C’est particulièrement vrai des déplacements, qu’on n’évalue pas par des mesures de longueur, mais de temps. C’est ainsi que l’administration définit les distances entre les relais de courriers (ulaḳ)[9]. Aussi le représentant (ketẖüdâ) d’Arslân Paşa auprès du grand-vizir peut-il assurer à celui-ci que, puisque son patron est parti depuis trois jours au galop, il arrivera le lendemain[10]. De même, Feridûn précise que Kütahya, siège du gouvernorat du futur Selîm II, se trouve à quarante jours du camp ottoman devant Szigetvár[11]. Mais ces mesures fondées sur le temps sont évidemment variables selon le type de trajet, c’est-àdire le type de voyageur : quand Feridûn nous dit[12] que Selîm II, arrivé à Plovdiv, décide de brûler les étapes pour gagner Belgrade en « faisant en un jour cette route d’une semaine », il s’agit à l’évidence d’une exagération littéraire. Mais on peut accorder plus de crédit à Selânikî quand il précise que le nouveau sultan alla d’Istanbul à Belgrade en quinze jours quand il en fallait trente aux marchands. En effet, l’armée avait mis un mois pour faire ce trajet en 1532[13]. Et, bien entendu, un çavuş voyageant « en ulaḳ », c’est-à-dire à bride abattue en changeant régulièrement de chevaux, filait plus vite encore[14]. Il était donc possible de tenir compte de cette géographie à temporalité variable pour maîtriser le temps – et donc les événements. C’est ainsi que, calculant le temps nécessaire à un courrier pour rejoindre Selîm à Kütahya, puis au déplacement de celui-ci, « on – autrement dit le grand vizir – avait estimé à trente jours à peu près le temps nécessaire pour que Son Excellence le pâdişâh – supposé que la lettre envoyée précédemment (dont il a été parlé en détail ci-dessus) arrivât et qu’il quittât Kütahya avec félicité et marchât rapidement – rejoignît l’armée auguste[15]. » Si l’on se souvient que c’était normalement un voyage de quarante jours, on voit bien qu’ici Ṣokollu Meḥmed Paşa montrait ses capacités à jouer avec le temps des itinéraires. De fait, il fallut environ un mois pour qu’arrivât Selîm à Belgrade[16]. Le contrôle de la situation par le grand vizir apparaît d’ailleurs au fait que, six jours après le décès de Soliman – donc avant même que Selîm eût reçu la nouvelle –, il rédigeait une nouvelle lettre à l’intention de ce dernier, sachant à peu près où le çavuş qu’il feignait d’envoyer à Erzurum croiserait le chemin du prince[17]. Si l’on songe à l’étendue de l’Empire et à l’absence de cartes, on conviendra que cette maîtrise du temps des déplacements et cette capacité à en jouer attestaient les qualités d’homme d’État de Ṣoḳollu Meḥmed Paşa. À l’inverse, l’officier qui ne faisait qu’une étape pour rejoindre le pont de Vukovar quand il avait reçu l’ordre de faire deux étapes était un dangereux incapable, qui s’attirait à juste titre l’ire du sultan : l’important n’était pas forcément de se presser, mais de maîtriser le temps[18].
Cette capacité était évidemment précieuse dans la gestion des affaires de l’État ou la conduite d’opérations militaires : ainsi, grâce à l’activité du grand-vizir qui avait donné ses ordres pour qu’on partît en campagne le 15 ramaẓân, toute la troupe était prête à l’heure dite[19]. De même, les dispositions prises à temps pour que les canons fissent un détour par un chemin mieux adapté que la route directe firent qu’à l’arrivée de l’armée à Peçûy, « tous les affûts de canon qu’il y avait, tous, étaient arrivés à l’étape en question et s’y trouvaient prêts[20]. » Mais dans des circonstances exceptionnelles comme celles de l’automne 1566, cette maîtrise du temps était vitale, comme Soḳollu Meḥmed Paşa le rappelait lui-même au prince Selîm, qui devait selon lui pouvoir arriver dans les trente jours : « Dans ce laps de temps, il est possible, en maintenant ses efforts, de cacher ces nouvelles dissimulées et les secrets susdits. Mais au delà de cette période, la situation deviendra difficile[21]. »
De fait, Selîm abandonna aussitôt la chasse, rejoignant Kütahya pour prendre aussi vite que possible la route de la capitale. Pourtant, son mîr aẖôr raconta à Selânikî qu’avant même de quitter Kütahya, Selîm – qui rappelait quelques heures plus tard à ses compagnons qu’il n’était pas encore monté sur le trône – n’hésita pas à trahir le secret qu’on lui recommandait. Il était en effet arrivé à l’heure de la prière du vendredi et, rencontrant le chantre de la mosquée de Ḥ isâr Beg, il lui annonça la mort de Soliman, ajoutant : « Fais-le savoir à la communauté des musulmans en prononçant la hutba en notre nom. » On est tenté, dans un premier temps, de voir là une maladresse, dictée par l’ivresse du pouvoir. En réalité, il pourrait s’agir au contraire d’une décision mûrement r[22]éfléchie : Selîm se préparant à partir au grand galop était sûr d’arriver au palais de Topkapı et d’y monter sur le trône avant que la nouvelle arrivât à Istanbul et a fortiori à Szigetvár. En revanche, puisqu’il était destiné à être le nouveau souverain, mieux valait assurer le calme en Anatolie avant qu’une fuite toujours possible ne fît connaître la nouvelle du décès de son père. Tout comme le grand vizir, le prince jouait donc consciemment avec les distances et le temps.

Bien entendu, le temps géographique dont il vient d’être question repose sur des données fondamentales (itinéraires, cours d’eau, montagnes, etc.), mais il fallait également tenir compte de données liées aux circonstances. On sait ainsi que la campagne de 1566 fut rendue particulièrement difficile par les conditions météorologiques. Les scribes qui tenaient les mühimme defteri notent dans le registre qu’on avait particulièrement souffert des précipitations et de la boue dans la journée du 17 mai[23] et que le 29 mai les pluies diluviennes avaient empêché la tenue d’un divan à Pınarbaşı[24]. Un peu plus tard, les crues considérables retardent l’avance des troupes : il est impossible de passer le Danube à Belgrade et il faut remonter la Save jusqu’à Sabac/ Böğürdelen[25]. Qui plus est, la crue de la Drave provoque même un changement de plan chez les Ottomans, qui renoncent dans un premier temps à se porter contre Szigetvár et décident d’aller plutôt attaquer Eger pour soulager Pertev Paşa qui faisait le siège de Gyula, sur la rive gauche de la Tisza[26]. Soulignant que Soliman devait à nouveau changer son fusil d’épaule en raison de l’évolution de la situation militaire sur la rive gauche de la Tisza, G. Káldy-Nágy conclut que toute cette campagne fut marquée par beaucoup d’irrésolution[27]. Jugement sévère, que vient contredire l’examen des ordres enregistrés dans les Mühimme defterleri. En effet c’est à Sofia le 30 mai que, les crues de la Save et du Danube rendant impossible la traversée des cours d’eau à Belgrade, on avait déterminé après enquête que le mieux serait de passer près de Böğürdelen[28], et la décision d’y aménager un pont était déjà prise le 3 juin[29], bien avant l’arrivée à Belgrade le 19–20 de ce mois. Il en va de même de l’objectif de la campagne. Il était encore Szigetvár le 19 mai[30], mais le 6 juin, le commandement s’inquiétait des retards entraînés par les crues et envisageait l’aménagement d’un pont à Petervarád[31]. Le 9 juin, la décision était prise[32]. Ainsi le commandement ottoman, loin d’être pris de court, suivait au contraire l’évolution de la situation météorologique (et militaire) avec attention, adaptant ses décisions à la situation. Il aurait certes été possible d’attendre la décrue : ce n’était qu’une question de temps. Mais, écrit justement le sultan, « attendre que les rivières rentrent dans leur lit est une cause de retard »[33]. Or le temps à la guerre est précieux, pour une armée mal équipée pour hiverner : sa gestion peut donc l’emporter sur d’autres considérations stratégiques.

Un dernier facteur indépendant de la volonté de l’homme d’État dont Ṣoḳollu Meḥmed Paşa eut à tenir compte est le facteur humain, en l’occurrence la santé du sultan. On se souvient que le départ en campagne était prévu pour le 15 ramaẓân / 5 avril. Un accès de maladie de Soliman ne le permit pas et il fallut attendre jusqu’au 9 şevvâl, c’est à dire le 29 avril[34]. Par la suite, pour ne pas épuiser le souverain, l’armée fit un long détour, quittant à Çatalca l’itinéraire militaire habituel[35] pour rejoindre la route « civile », sans doute plus confortable, à Silivri[36]. Au total, il fallut treize étapes pour gagner Andrinople, alors qu’il n’en avait fallu que neuf en 1532 et 1537. Ces pertes de temps pouvaient être lourdes de conséquences pour le succès des opérations. Mais plus encore que la maladie, c’est le décès du sultan au milieu de l’armée, devant l’ennemi, à quarante jours de route de la résidence du prince héritier, qui changea la situation. Gérer le temps avait jusque là consisté à agir et à réagir, au plus vite. Désormais, il s’agissait au contraire de faire traîner les opérations en longueur : ayant pris les mesures nécessaires, le grand vizir, écrit Feridûn, « portait ses yeux en pleurs sur le chemin du regret et de l’attente, envisageant le remède apporté à ses maux quand (la grâce et la faveur venant soudain de la cour du Seigneur de gloire) l’ombre de la grâce du Créateur, Son Excellence le pâdişâh de l’époque arriverait[37]. » Il faut assurément prendre au sérieux l’angoisse du grand vizir, mais son attente n’est nullement une démission. Bien au contraire, être maître du temps, c’est aussi savoir attendre.

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Indépendamment des phénomènes naturels plus ou moins contrôlables qui venaient compliquer la gestion du temps, les hommes d’État ottoman avaient bien entendu à tenir compte d’obligations imposées par la société elle-même. Il importait en effet de respecter différents calendriers.

Il y a d’abord, pour le cas qui nous concerne, un calendrier militaire, fondé non pas sur le calendrier lunaire de l’Hégire, mais (comme c’était également le cas dans les domaines maritimes, commerciaux et agricoles – et en conséquence fiscaux –) sur le rythme solaire des saisons. Nous avons vu comment l’armée avait été prête pour le 5 avril, les campagnes commençant normalement au début du printemps[38]. En contrepartie, la troupe savait quand elle pourrait regagner ses foyers. Aussi les soldats s’étonnaient-ils, après la chute du fort de Szigetvár, de constater que « la saison hivernale était proche et que pourtant il n’y avait dans la troupe aucun signe de mouvement ni aucune information sur le déplacement du retour[39]. » De même, le beylerbey de Roumélie se montrait réticent à partir à la conquête du fort de Bobofça, en raison de la situation politique alors que le sultan était mort, mais aussi – et c’est sa première réaction –, parce que « l’hiver, dit-il, est venu et s’est appesanti sur nous[40]. » Bien entendu, la pratique consistant à fermer les portes de la guerre à l’arrivée de l’hiver s’explique aisément par des considérations pratiques : besoin pour les timariotes de revenir sur leurs tenures, difficultés matérielles du retour, impossibilité de camper en plein hiver, difficultés d’approvisionnement[41]. Ces dernières pesèrent du reste lourdement sur les épaules de Soḳollu Meḥmed Paşa en 1566. Il constatait dans une note de la fin de septembre : « Actuellement on ne trouve pas de sucreries : on dirait que c’est de l’or[42]! ». Et dans une lettre du 11 ou 12 octobre, il écrivait à Selîm II : « En demeurant sur un même site en déployant toutes sortes d’efforts et de zèle pour la religion évidente, on en vient à la disette d’approvisionnement et pour le moment présent, il n’y a plus d’abondance[43]. » Néanmoins, il avait pu arriver à l’armée ottomane d’hiverner sur place[44] pour mener une entreprise à bout. Il est vrai que cela impliquait l’envoi dans les provinces de ẖarclıḳcı chargés de ramener à leurs camarades un ẖarclıḳ qui leur permettrait de subsister, au prix d’une grande perturbation dans le règlement de taxes perçues de ce fait de façon anticipée[45]. C’était donc un pis-aller, peu compatible avec une bonne gestion du temps, qu’il était préférable d’éviter. Ajoutons qu’à cette date on n’avait pas encore vu les troupes hiverner en Europe balkanique ou centrale, mais c’était semble-t-il l’intention de Selîm II en 1566, et aussi celle affichée par Ṣoḳollu Meḥmed Paşa, qui fit ostensiblement des préparatifs pour l’hivernage à Bude de Soliman et Selîm censé le rejoindre. La réaction de la troupe n’était donc pas uniquement d’ordre pratique. Il s’agissait aussi d’une coutume, donc d’une affaire sérieuse, qu’il convenait de respecter par principe[46]. C’est d’ailleurs sur ce principe que s’appuyait le grand vizir quand, quittant enfin Szigetvár à la mi-octobre, il ordonna aux beylerbey, d’après Selânikî[47] : « Qu’on se consacre à la garde des lieux conquis jusqu’à ce que soit passé le jour de ḳâsım ; qu’on n’accorde aux troupes ni permission ni licenciement. » Le rûz-ı ḳâsım, qui correspond au XVIe siècle au 5 novembre grégorien, était le début officiel de l’hiver[48]. En citant cette date rituelle, le ministre étouffait par avance toute protestation de la part des soldats.

Je citerai également ici une obligation à la fois militaire et magicoreligieuse : il s’agit du pèlerinage au mausolée d’Eyüp et à la tombe des sultans qui précédait un départ en campagne et permettait au souverain de s’approprier la baraka de ses glorieux aïeux et du compagnon du Prophète mort devant Constantinople. On sait que ce pèlerinage finit par devenir inséparable de l’intronisation des sultans ottomans, et que Selîm II fut semble-t-il le premier à le faire à la suite de sa montée sur le trône. Il est possible que ce faisant il ait eu en tête des considérations politiques et dynastiques, mais la seule chose qu’on puisse tenir pour sûre est que, partant rejoindre l’armée sur le front et décidé à cette date à continuer la guerre, il agit en l’occasion comme ses prédécesseurs[49] dans un contexte religieux et militaire[50]. Il y avait pourtant urgence, au point d’ailleurs qu’il partit aussitôt, sans célébrer dans la capitale la prière du vendredi. Mais cette urgence ne justifiait pas de négliger une cérémonie aussi fondamentale que le pèlerinage à la tombe d’Ebû Eyyûb.
Bien entendu, il y avait également un calendrier politique, marqué par exemple par le retour régulier des divans impériaux (dîvân-ı hümâyûn). L’organisation de ceux-ci a suscité de nombreux débats[51]. Mais quelle que soit l’époque où le sultan cessa d’assister systématiquement au conseil, on peut considérer comme établi qu’à la fin du règne de Soliman – et depuis longtemps à cette date – le divan avait normalement lieu, en l’absence du souverain, quatre fois par semaine, les samedi, dimanche, lundi et mardi. Des circonstances exceptionnelles pouvaient certes amener à ne pas respecter cette habitude[52]. Les nombreuses attestations de celle-ci suffisent néanmoins à faire admettre qu’elle était considérée comme une règle dont il convenait de tenir compte autant que possible[53].

De fait, ce qu’on sait de la campagne de Szigetvár montre l’importance qu’on attachait apparemment au respect de ces dates. C’est ainsi qu’à l’étape de Pınarbaşı un kâtib estima nécessaire de noter dans le « registre des affaire importantes » (mühimme defteri), à la date du 20 mai 1566 – un lundi –, qu’en raison des pluies excessives on n’avait pas tenu de divan dans l’après-midi[54]. On ne s’étonnera donc pas de voir le calendrier des divans rythmer la vie du camp de Szigetvár, et ce d’autant plus que le sultan était mort et qu’il convenait par conséquent d’agir comme si tout avait été normal. Ainsi le 7 septembre, au lendemain du décès de Soliman, le grand-vizir profita de ce qu’on était un samedi, jour de divan, pour transmettre l’irritation prétendue du sultan disparu qui exigeait qu’on terminât le siège[55]. L’importance accordée au respect du calendrier apparaît clairement quelques semaines plus tard. Le vendredi 12 rebîʿü-l-evvel / 27 septembre, la prière du vendredi avait eu lieu en grande cérémonie dans la ville conquise. D’après le récit de Selânikî[56], on avait annoncé que le sultan, souffrant du pied, ne pourrait venir, ce qui fit murmurer la troupe : « On commençait à dire et à répéter qu’il eût été bon que la prière se fît en présence de Son Excellence le pâdişâh refuge du monde lui-même et fût suivie de l’examen des affaires et de distributions de dons[57]. » Pour calmer les hommes, on leur fit alors miroiter de prochains bienfaits du sultan, en faisant proclamer : « Beys et aghas, demain est jour de divan, soyez présents ». La formule yarın dîvân-dur (littéralement, « demain, c’est divan ») laisse clairement entendre, non pas qu’on a décidé de tenir conseil en raison des circonstances, mais que le lendemain est un jour où il est normal de tenir conseil : de fait, c’est un samedi 26 [58]. Au demeurant, il y avait urgence, et Selânikî nous montre Feridûn visitant dans la nuit les pachas pour préparer le divan. Plusieurs étaient du reste réticents, estimant que c’était une mesure dangereuse dans les circonstances présentes. Mais Feridûn insiste[59], fidèle à l’esprit de son patron le grand vizir : le divan doit avoir lieu, précisément pour que tout paraisse normal. Ajoutons que, pour Soḳollu Meḥmed Paşa, il ne s’agissait pas seulement de leurrer les soldats. En effet, peut-être sous la pression des hommes de troupe rendue plus dangereuse – on va le voir – par les obligations du calendrier religieux, il avait choisi de profiter de ce divan pour annoncer officiellement au milieu restreint des membres du conseil la mort du sultan. Désormais, ils n’auraient d’autre choix que de soutenir sa politique (au lieu de la critiquer comme ils l’avaient fait en recevant Feridûn). Une fois la séance achevée, les membres du divan se rendirent selon le protocole de l’‘arẓ dans les appartements du sultan :

Quand vint le moment de se lever pour gagner les appartements du Sultan – raconte Selânikî –, les vizirs de haut rang sortirent de la salle du divan par la porte de la grande tente et comme le trône du sultanat était vide, le silaḥdâr Ca‘fer Aġa, le çuḳadâr Musṭ afà Aġa et les iç aġalar vinrent et répondirent : “Le samedi 22 ṣafer, quatre heures avant l’aube, le défunt à la vie fortunée, qui a fait l’expérience de la mort, qui a fait l’objet du pardon et de la grâce de Dieu, a vu l’oiseau de son âme s’envoler de ce monde où niche la misère et s’installer à la porte du paradis”[60].

Cette mise en scène est d’autant plus remarquable que Selânikî luimême nous a montré un peu plus haut que ces grands personnages étaient parfaitement au courant de la situation, en parlaient entre eux à demi-mot et avaient déjà pris des dispositions en conséquence. C’est assez dire combien il était important que cette annonce, pour devenir officielle au sein du cercle restreint des ministres, fût faite selon la procédure régulière et à la date normale. Il est non moins remarquable qu’alors que le grand vizir et la troupe avaient rejoint Selîm II à Belgrade le jeudi 24 octobre, et qu’on avait ce même jour célébré la prière funéraire en l’honneur de Soliman, ce n’est que le samedi 26 que se tint le premier divan du règne[61]. Quelles que fussent les circonstances, donc, il fallait dans la mesure du possible respecter le cours normal des choses et le calendrier contraignant de la machine du pouvoir.

Une autre date dont il convenait de s’inquiéter était celle du versement de la solde, due tous les trimestres de l’année lunaire. Cela n’allait pas sans difficulté, du reste, dans un système où les recettes étaient de leur côté collectées en fonction du calendrier solaire : j’ai cité plus haut la célèbre étude où Halil Sahillioğlu montre les graves déséquilibres budgétaires et politiques entraînés à long terme par cette incohérence[62]. Sur l’existence à l’époque de la campagne de Szigetvár d’un protocole et d’un calendrier précis du paiement de la solde, on n’est pas renseigné[63]. On notera en tout cas que d’après Selânikî, alors que tous étaient pressés de quitter Szigetvár et de repasser le Danube, le grand-vizir aurait écrit à Selîm II qu’avant de partir il verserait dans le camp, dans la première décade de rebîʿül-âẖır, la solde du premier trimestre[64].

Un troisième calendrier pesait tout particulièrement sur la vie des Ottomans : le calendrier religieux. On remarquera d’abord que c’est la nature islamique du calendrier lunaire de l’Hégire qui explique que les musulmans en général, et les Ottomans en particulier, s’y soient tenus si longtemps pour mesurer le temps de leur vie matérielle, alors qu’ils n’ignoraient nullement qu’un calendrier solaire eût été mieux adapté[65].

De même que l’écoulement des jours était rythmé plus par les cinq prières que par la succession des heures diurnes et nocturnes,  de même le retour régulier du vendredi, jour de la prière en commun de la Communauté à la mosquée, était un élément essentiel de la vie. Ce rendez-vous hebdomadaire n’était pas sans conséquences politiques, puisqu’il était l’occasion de réunions – donc de discussions, voire, au siècle suivant, de manifestations – et permettait de donner à voir le souverain au peuple. C’est ainsi qu’on était convaincu dans l’armée qu’après trente et un jours de combats, Soliman accomplirait la prière du vendredi en action de grâce pour la victoire – et distribuerait des dons[66]. Nous avons vu combien son absence avait déçu les hommes[67]. Mais si le retour du vendredi créait des obligations au souverain vis-àvis de son peuple, ce jour sacré pouvait également servir d’instrument au gouvernement. On en trouvera un exemple dans un message de Ṣoḳollu Meḥmed Paşa[68] le vendredi 23 août, qui suivait un échec dans le déroulement du siège :

Qu’ils déploient leur zèle et leur dévouement ! Qu’ils ne désertent pas le combat ! C’est aujourd’hui le jour sacré du vendredi : qu’ils adressent à Dieu suppliques et prières. J’espère que du mystérieux réduit de Dieu apparaîtra et jaillira la bénédiction du verset « Un secours venant de Dieu »[69].

Ici, on se sert donc du temps religieux pour contrôler le moral des troupes.
Il y avait aussi les grandes fêtes annuelles, dont la célébration publique s’imposait. C’est ainsi que Feridûn prend soin de noter que, dès lors que la maladie de Soliman avait empêché l’armée de quitter Istanbul le 15 ramaẓân, les rites de la fin du ramadan s’étaient déroulés dans la capitale, où on accomplit « les obligations de ces jours sacrés et les rites de la fête de grâce en se conformant à la Loi exaltée »[70]. Non moins importante était la fête du sacrifice, l’‘îd el-kebîr célébré le 10 ẕî-l-ḥicce. Une des raisons pour lesquelles Soliman tenait malgré les crues à être à temps à Semlin, sur le Danube en face de Belgrade, est qu’il avait été décidé d’y célébrer la fête : un ordre expédié une semaine auparavant, le 2 ẕî-l-ḥicce, depuis l’étape de Moravica, demande au cadi de Belgrade de s’occuper des approvisionnements nécessaires, attendu qu’ « on avait l’intention, si Dieu (qu’Il soit exalté) le voulait, d’y célébrer la fête et d’y séjourner un certain temps »[71]. Ce souci de donner toute son importance à la fête, même dans une armée en campagne qui pourrait avoir d’autres soucis, n’est pas exceptionnel. Feridûn, dans son récit de la campagne menée en 1559 par Ṣoḳollu Meḥmed Paşa et le prince Selîm contre le frère de ce dernier, Bâyezîd, tient également à préciser qu’on célébra l’‘îd el-ṣaġîr à Ḥ asanlar Pınarı et l’‘îd el-kebîr à Bingöl[72].

Une dernière date religieuse doit être mentionnée : il s’agit de l’anniversaire du Prophète, le Mevlûd, le 12 rebî‘ü-l-evvel, qui en 1566 tombait le vendredi 27 septembre. Selânikî nous apprend que cette nuit-là – c’est à dire la nuit du 26 au 27 – des chantres furent appelés dans les appartements du Sultan et que Ḥ âfıż Maḥmûd Efendi lut le Mavlûdü-n-nebî, puis qu’on procéda à une nouvelle lecture la nuit suivante sous la tente du grand-vizir[73]. Cette affaire avait causé bien des soucis à ce dernier. En effet, déjà à cette époque[74], l’anniversaire de la naissance du Prophète était une cérémonie protocolaire qui n’était pas ouverte à la foule, mais à laquelle participaient des grands officiers en nombre déjà non négligeable. Cette cérémonie aulique risquait de créer des attroupements dans le camp alors même que le maintien du secret sur la mort du sultan exigeait une parfaite discipline. De plus des distributions de confiseries s’imposaient à cette occasion, et nous avons vu que le grand vizir se plaignait que le sucre fût au prix de l’or. Il y aurait donc eu bien des avantages à oublier la fête. Mais c’était impossible. Certes Ṣoḳollu Meḥmed Paşa demanda qu’on se limitât au minimum, mais il ne fallait en aucune manière en faire moins que d’habitude (sur le nombre d’invités, par exemple), ni a fortiori y renoncer. Le respect du calendrier religieux passait donc avant toute autre considération. La conclusion du ministre est parfaitement claire sur ce point : « Si telle était la coutume, en tout cas il faut appliquer la coutume[75]. »

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Comme on le voit, l’homme d’État ottoman était prisonnier de réalités concrètes, de rites et d’obligations, parfois contradictoires, qui ne lui permettaient pas de faire du temps ce qu’il voulait. Tout l’art consistait à en tenir compte et, si possible, à en tirer parti.

Un bon exemple est fourni par l’étape de Soliman à Semlin, en face de Belgrade, dictée par des considérations militaires, politiques, religieuses et matérielles. Il convenait de passer les cours d’eau au plus vite malgré les crues pour pouvoir se porter contre l’ennemi : non plus à Szigetvár, ce que les circonstances météorologiques empêchaient, mais à Eger, en sorte que le déplacement de l’armée eût encore un sens et une utilité. Par son emplacement, Semlin était compatible avec ces deux choix stratégiques, et offrait en outre l’espace nécessaire à l’installation d’un camp important pour quelques jours : c’était politiquement important, car le sultan voulait recevoir là en majesté, en terre hongroise, son vassal Jean-Sigismond Zapolya, roi de Transsylvanie ; mais le site devait aussi être le lieu d’une manifestation affichant la légitimité islamique du sultan, puisqu’on y célébrerait la fête de l’ʿîd el-kebîr. Ajoutons qu’en faisant ainsi coïncider le religieux et le politique, le sultan gagnait en majesté, mais aussi en temps : en période de guerre, celui-ci était précieux. Tout ceci fut réalisé, malgré l’état des routes et les crues, et malgré la maladie de Soliman : la machine militaire et administrative ottomane se révélait fort efficace dans la gestion du temps.

Un autre exemple d’usage combiné des domaines militaire, religieux et politique est celui de ce jeune noble hongrois passé auprès du beylerbey de Bude Musṭafà Paşa, qui l’envoya à Szigetvár auprès de son parent le grand vizir. Le jeune transfuge fut aussitôt interrogé sur la situation de l’ennemi, comme il se devait. Mais on se préoccupa aussi de gestes qui auraient pu attendre : il fut converti à l’islam, puis, comme on le jugeait digne d’être admis et formé parmi les pages du sultan, on l’invita dans l’içerü, non seulement parce qu’on évitait ainsi la possibilité de susciter quelque doute dans le peuple en ne l’y faisant pas entrer, mais encore parce qu’en l’y faisant entrer, on donnait à voir un signe fort de ce que Son Excellence le pâdişâh était en bonne santé. (…) Trois jours après, [. . . il] fut circoncis selon les rites, puis on l’installa auprès des serviteurs de la cour sublime, du côté de l’auguste tente [du sultan] : il resta là quelques jours jusqu’à ce qu’il se portât bien et ce fut une occasion de réjouissances et de retard[76].

Bien entendu toute l’action menée par Ṣoḳollu Meḥmed Paşa pour maintenir le secret sur la mort de Soliman et préparer l’arrivée de Selîm II consista à jouer sur le temps et les calendriers. Nous avons vu dans la première partie de ce texte comment il maîtrisait la mesure matérielle du temps, calculant au plus juste les délais, supputant avec exactitude la chronologie des déplacements de Selîm II et agissant en conséquence : c’est lui qui préparait l’accueil du prince à Istanbul[77], qui choisissait – en fonction de la date où le nouveau sultan aurait accompli sa montée sur le trône – le moment d’annoncer officiellement le décès de Soliman aux vizirs, qui organisait une correspondance par des jeux de courrier croisant la route de Selîm grâce à des hasards soigneusement calculés. Mais aussi c’est le respect même par le grand vizir de ces différents calendriers contraignants, malgré les innombrables difficultés pratiques que cela impliquait, et contre l’avis parfois de ministres moins habiles que lui, qui permit d’afficher une normalité fictive assurant le secret et par là le maintien de la discipline.

Assurément, les circonstances étaient très particulières et l’on n’avait pas toujours à tenir compte de contraintes aussi difficiles. Mais c’est bien l’art de tenir compte du temps et d’en jouer qui faisait, au moins en partie, l’homme d’État : il doit savoir prévoir. J’ai déjà donné l’exemple du déplacement des canons ou de l’accueil de Selîm lors de son passage à Istanbul. Ce souci peut être dicté par des considérations de cérémonies à première vue mineures. Ainsi Selim II parvenu de Kütahya aux rives du Bosphore veut être sûr que son arrivée au Palais se fera sans accroc et avec toute la majesté nécessaire. Il ordonne donc à son mîr-âẖôr de traverser avant lui avec un cheval richement équipé : « Tu m’attendras là, dit-il. Je veux t’y trouver prêt[78]. » De la même manière, Ṣoḳollu Meḥmed donne des instructions à Selîm II lui-même pour que tout soit en place à l’arrivée à Belgrade du corps de Soliman avec l’armée : « Les baldaquins (avec leurs structures) destinés à être placés devant la tente auront été commandés. Que le nouveau trône venu d’Istanbul soit placé entre les tuğ[79]. » On le voit, rien ne doit être laissé au hasard. On en a un bon exemple dans les mesures minutieuses prises en prévision de l’hivernage de Soliman à Bude, projet évidemment fictif qui ne visait qu’à maintenir le secret sur la mort du Sultan : non seulement l’ordre était donné de préparer le palais à Bude et de dégager la route pour faciliter le déplacement du souverain malade, mais on allait jusqu’à commander des bottes d’hiver pour Soliman[80]. Or c’est précisément sa capacité reconnue à se projeter ainsi dans l’avenir, à maîtriser le temps et ses hasards, qui rendait crédible la ruse de Ṣoḳollu Meḥmed.

Il ne suffit pas, pour gagner à ce jeu, d’y jouer. Il faut savoir prendre son temps et trouver le bon moment. Nous en avons vu un exemple plus haut à propos des déplacements de l’armée et de la stratégie décidée en fonction de la situation météorologique, ni trop tôt, ni à la dernière minute. De même, averti de la mort de son père et de la nécessité de rejoindre l’armée au plus vite, Selîm II prend tout de même le temps d’une halte à Kütahya pour consulter ses conseillers politiques et financiers (son lala, son ẖôcâ, son defterdâr), déterminer qui l’accompagnera, choisir des chevaux et des chevaux de remonte envoyés en avant[81]. Assurément, il n’y a là que du professionnalisme, qui ne mérite peut-être pas qu’on s’y arrête. Mais, précisément, il n’est pas indifférent que Feridûn nous montre le nouveau sultan gardant toute sa tête dans ces premiers instants, s’affirmant lui aussi comme un maître du temps. Selîm le prouve d’ailleurs un peu plus tard, sur la route de Kütahya à Istanbul, quand les officiers de son entourage prétendent se partager déjà les places. Il les tance alors, s’écriant :

« Sommes-nous déjà arrivé et monté sur le trône ? » Et le mîr-âẖôr de s’excuser en protestant qu’il avait en effet tenté en vain de faire valoir à ses compagnons « que ce n’était pas le lieu et qu’il y avait un temps pour cela »[82]. Savoir choisir le bon moment est en effet essentiel en politique. On a vu que Ṣokollu Meḥmed Paşa était un virtuose de cet art. En voici un dernier exemple : c’est une fois rentré en territoire ottoman, à un moment où il savait que Selîm II, intronisé à Istanbul, était parvenu à Belgrade, qu’il décida de lever le secret sur la mort de Soliman. D’un point de vue militaire, la nouvelle ne risquait plus désormais d’influer sur le cours des opérations. Politiquement, la présence proche du nouveau sultan en titre supprimait tout risque de mouvement incontrôlé de la part des hommes. Mais d’autre part en proclamant la nouvelle dès ce moment pour permettre aux manifestations de deuil d’exploser, le grand vizir faisait en sorte de ne pas mêler à celles-ci le nouveau sultan, qui apparaîtrait aux hommes dans toute sa majesté un peu plus tard. Enfin le lieu et l’heure étaient bien choisis pour donner de la grandeur à l’événement et impressionner les esprits. Des chantres furent placés autour de la voiture qui transportait le corps. Selânikî en était. C’est lui qui raconte[83]: « Nous commençâmes à répéter le nom de Dieu. C’était la nuit, à la lisière d’une forêt : cela produisit un grand effet. » Les autres vizirs, ajoute Selânikî, estimèrent que la nouvelle avait été dévoilée trop tôt. Ils avaient tort, bien sûr, n’ayant pas comme leur chef ce don politique qui permet de déterminer, par calcul sans doute, mais aussi intuitivement, quel est le bon moment.

L’exemple qui précède vient nous rappeler que temps politique et temps symbolique sont souvent liés. C’est ainsi que le premier acte de Selîm II lors de son premier divan est de doter les Villes saintes de La Mecque, Médine, Jérusalem et Yanbou[84]. Tout aussi remarquable est la façon dont ce même Selîm II prit son temps pour regagner la capitale. Suivant un itinéraire un peu sinueux, Selîm et son grand vizir inspectèrent au passage de grands chantiers en cours (complexe de Ṣoḳollu Meḥmed Paşa à Lüleburgaz, pont en reconstruction de Büyük Çekmece), donnant à voir le nouveau sultan vivant tout en affichant l’évergétisme du grand vizir[85]. Mais Selîm II faisait d’une pierre deux coups, puisqu’il s’arrangeait ainsi pour n’être pas présent à l’arrivée à Istanbul du corps de son père et à sa mise en terre. Il évitait de ce fait la présence conjointe de deux sultans (l’un fût-il mort) et s’assurait de faire dans la capitale une rentrée en souverain incontestable revenant de la campagne de Hongrie[86]. L’importance de ce moment symbolique n’échappait d’ailleurs pas aux hommes, qui choisirent précisément l’arrivée dans la capitale pour se révolter et exiger un don de joyeux avènement[87].

L’habileté au demeurant ne suffisait pas. Le temps avait aussi un aspect merveilleux ou mystique. Il est des coïncidences temporelles qui sont à l’évidence des signes. C’est ainsi que le jour choisi par Ṣoḳollu Meḥmed Paşa pour rendre publique la nouvelle du décès de Soliman ne s’imposait pas seulement par les considérations développées plus haut. Selânikî signale en effet que cela faisait quarante huit jours qu’on cachait le corps du sultan qui avait régné quarante-huit ans[88]. De même, il n’était pas indifférent pour Feridûn que la conquête du fort de Bobofça eût lieu le 8 rebî‘ü-l-evvel 974 / 23 septembre 1566, le jour même de l’intronisation de Selîm II à Istanbul : « C’est le signe et l’annonce – écrit-il – que l’auguste apparition marquée par la puissance [de Selîm II] se fait dans la puissance et la félicité ; que sous son règne et son sultanat des conquêtes portant le signe de la victoire comme celle-ci seront accordées et que toujours il sera vainqueur et victorieux[89]. »

L’homme prédestiné aux grandes choses est évidemment celui qui fait l’objet de tels signes et sait, fût-ce inconsciemment, en tirer parti. Ṣoḳollu Meḥmed Paşa, par exemple, le jour où, négligeant la prudence qui s’impose au chef du gouvernement, il se lança à l’assaut à la tête de ses troupes, sentit confusément qu’un destin exceptionnel l’attendait. C’est du moins ce que laisse entendre Feridûn, qui déclare qu’il avait eu « une inspiration divine et un sentiment insufflé par d’invisibles créatures dont il tirait cet heureux message : “Sans tête le pied ne bouge pas. Nul n’avance de lui-même. Au pays il faut un souverain et à la troupe un chef ”[90]. » Quant à Soliman lui-même, sa sainteté ne fait pas de doute pour Feridûn :

Car quand il était parti pour cette ġazâ bénie, il avait prié Celui qui répand les grâces de lui accorder cette fin bénie (. . .). Ce souhait sacré fut exaucé. Pour montrer que ce souhait sacré qu’il avait exprimé fut exaucé, il suffit largement de ces signes manifestes et de ces preuves décisives : par cette campagne d’illustre ġaẓâ, il obtint la récompense du cihâd et de ses efforts [pour la foi] et il eut le bonheur d’être honoré par la félicité et le martyre. Assurément, il ne demeure pas trace d’un doute sur le fait que son vœu sacré fut exaucé et que son âme parvint à la miséricorde du Miséricordieux. Sur la date de sa mort portant les signes de la miséricorde, ces mots inspirés par la bénédiction [divine] fournissent une indication parfaite et un témoignage complet.

Chronogramme de sa mort : “Il vint d’une voix de l’au-delà, avec une date / Dieu lui accorde une grâce éternelle”[91]. »

*
On attend donc bien de l’homme d’État ottoman qu’il maîtrise le temps. Par là, il prouvera son habileté, mais aussi des qualités exceptionnelles qui dépassent sa simple nature d’homme. Le bon sens des vizirs de Soliman, après le décès de celui-ci à Szigetvár, les poussait à des actions qui, sous couleur de prudence, auraient été erronées. Ils étaient de bons exécutants, pas des chefs. Soḳollu Meḥmed Paşa au contraire était d’une autre envergure, c’est à dire d’une autre nature – rappelons-nous la vision qu’il avait eue. C’est pourquoi il sut toujours faire ce qui convenait, autrement dit agir quand il le fallait.

Cette maîtrise du temps peut avoir quelque chose de magique, ou du moins de surhumain. C’est ainsi que Feridûn n’hésite pas à affirmer, à propos de la préparation de la campagne de 1566, que « grâce à la persévérance et aux préparatifs de Son Excellence le susdit vizir prudent, les affaires et matières importantes qui selon les moyens de l’intelligence humaine auraient pris trois ans de travail continu furent toutes menées à conclusion et perfection selon les ordres dans l’espace de six mois »[92]. De même, il assure que, alors que les techniciens évaluaient à six mois le temps nécessaire à construire le pont d’Ösek, il fut achevé en quatorze jours grâce à la toute puissance de Dieu, aux miracles et bénédictions du Prophète, à la sainteté de Soliman et « aux arrangements et aux dispositions de Son Excellence le grand ministre »[93].

L’historien peut se borner à considérer les simples faits. Mais il est bientôt contraint d’admettre que les contraintes matérielles et celles imposées par des calendriers militaires, religieux, politiques et autres rendaient en effet l’action politique délicate dans une société où il importait de respecter les normes et les pratiques anciennes ou réputées telles. On fera remarquer, à juste titre, qu’il n’y a dans tout cela rien d’exceptionnel. Toute civilisation un peu sophistiquée impose aux hommes d’action des contraintes comparables, et partout l’homme d’État doit jongler avec le temps, des calendriers contradictoires et des obstacles de diverses natures tendant à l’empêcher de tenir le tempo de son action. C’était tout particulièrement difficile, bien entendu, dans une période de crise comme celle dont il est question dans cet article. Il ne fait pas de doute qu’à ce jeu, Soḳollu Meḥmed Paşa et – quoique dans une moindre mesure – son patron Selîm II agirent en virtuoses.



[1] Nicoara Beldiceanu et Irène Beldiceanu-Steinherr, « Considérations sur la chronologie des sources ottomanes et ses pièges », in C. Heywood et C. Imber éds, Studies in Ottoman History in Honour of Professor V. L. Ménage, Istanbul, Isis, 1994, p. 15–29. Un article récent de C. Heywood montre que les conclusions d’I. et N. Beldiceanu pour les XIVe–XVIe siècles sont toujours valables pour la fin du XVIIe siècle : cf. Colin Heywood, « The shifting chronology of the Chyhyryn campaign (1089/1678) according to the Ottoman literary sources, and the problem of the Ottoman calendar », in
E. Kermeli et O. Özel éds, The Ottoman Empire. Myths, Realities and « Black Holes ». Contributions in honour of Colin Imber, Istanbul, Isis, 2006, p. 283–295. Il n’est question qu’incidemment des Ottomans dans l’ouvrage fondamental de Louis Bazin, Les systèmes chronologiques dans le monde turc ancien, Budapest-Paris, Akadémiai KiadóCNRS, 1991.
[2] « Années sıvış et crises monétaires dans l’Empire ottoman », Annales. Économies,
Sociétés, Civilisations XXIV/5, septembre-octobre 1969, p. 1071–1091 ; version anglaise
sous le titre « Sıvış years crises in the Ottoman Empire », in A. Cook éd., Studies in
the Economic History of the Middle East, Londres, 1970, p. 230–252. Les deux versions
ont été rééditées in H. Sahillioğlu, Studies on Ottoman Economic and Social History,
Istanbul, Ircica, 1999, p. 1–25 et 193–221. Sur les problèmes de paiement des soldes
entraînés en Égypte ottomane par la contradiction entre le calendrier lunaire musulman et le calendrier solaire copte (base de l’année agricole et financière) et sur les solutions adoptées, cf. Stanford J. Shaw, The Financial and Administrative Organization and Development of Ottoman Egypt. 1517–1798, Princeton, Princeton University Press, 1962, p. 216, 308–309.
[3] La nuit est le moment où les portes des quartiers sont fermées, où l’on se calfeutre chez soi, celui aussi où les bandits rodent dans les cimetières. Mais c’est encore la nuit qu’on prie avant la bataille : cf. Rhoads Murphey, Ottoman Warfare 1500–1700, Londres, UCL Press, 1999, p. 155 ; Barbara Flemming, « The Sultan’s prayer before battle », in C. Heywood et C. Imber éds, Studies in Ottoman History in Honour of Professor V. L. Menage, Istanbul, Isis, 1994, p. 63–75.
[4] Sur cette question, cf. Rémy Dor, « Les âges-de-vie ( yaş) dans le chant populaire turc », in F. Georgeon et K. Kreiser éds, Enfance et Jeunesse dans le monde musulman, Paris, Maisonneuve et Larose, 2007, p. 123–145.
[5] Feridûn, Nüzhetü-l-esrâri-l-aẖbâr der sefer-i Sigetvâr, manuscrit H 1339 de la bibliothèque du Palais de Topkapı à Istanbul, 49 v°. Texte édité et traduit par N. Vatin, Ferîdûn Bey. Les plaisants secrets de la campagne de Szigetvár, Vienne-Berlin, LIT
Verlag, 2010.
[6] 5 Numaralı Mühimme Defteri (973/1565–1566), Ankara, T. C. Başbakanlığı Arşivleri Genel Müdürlüğü, 1994.
[7] Cf. supra, n. 5.
[8] Selânikî, Tarih, M. İpşirli éd, Istanbul, 1989.
[9] Cf. Colin Heywood, « The Via Egnatia in the Ottoman period : the menzilẖânes of the Ṣol ḳol in the late 17th/early 18th century », in E. Zachariadou éd., The Via Egnatia under Ottoman Rule (1380–1699), Rethymnon, Crete University Press, 1996, p. 129–144 (p. 131), qui fait particulièrement référence au defter KK 2255 des archives du Başbakanlık à Ankara. Daté de 1003/1594–95, ce registre n’est pas très éloigné dans le temps des événements dont il est question dans cet article.
[10] Selânikî, p. 26.
[11] Feridûn, 65 r°.
[12] Feridîn, 83 r°.
[13] S. Yerasimos, Les voyageurs dans l’Empire ottoman (XIVe–XVIe siècles), Ankara,
TTK, 1991, p. 175. Mais Jacob von Betzek avait pris moins de temps en 1572, partant
un 28 mars pour arriver un 18 avril (id., p. 265–266).
[14] D’après les calculs de l’administration ottomane, le trajet d’un ulaḳ d’Istanbul à Belgrade était de 173 heures : cf. Yusuf Halaçoğlu, Osmanlılarda Ulaşım ve Haberleşme (Menziller), Ankara, PTT Genel Müdürlüğü, 2002, p. 110. D’après les calculs de cet auteur (p. 107), pour un ulaḳ Plovdiv était à 77 heures de la capitale, donc à 96 heures de Belgrade : on voit combien improbable était l’exploit envisagé par Selîm II d’après Feridûn.
[15] Feridûn, 75 v°.
[16] Le courrier Ḥasan Çavuş était parti en hâte le 7 septembre (Feridûn,  58 r°) –
Soliman était mort dans la nuit du 21 safer 974, c’est à dire dans la nuit du 6 au 7.
Il mit douze jours pour rejoindre Selîm, qui était à Istanbul le 23 septembre et en
repartait le 26 (cf. Nicolas Vatin, « Comment on garde un secret. Une note confiden-
tielle du grand vizir Ṣoḳollu Meḥmed Paşa en 1566 », in E. Kermeli et O. Özel éds, The Ottoman Empire. Myths, Realities and « Black Holes », Istanbul, Isis, 2006, p. 239–255, p. 250). S’il lui fallut comme le dit Selânikî une quinzaine de jours pour aller de la capitale à Belgrade, on voit que les calculs de Ṣoḳollu Meḥmed étaient justes.
[17] Feridûn, 76 r°.
[18] Selânikî, p. 22.
[19] Feridûn, 8 v°–9 r°.
[20] Feridûn, 20 v°.
[21] Feridûn, 75 v°.
[22] Selânikî, p. 40–41.
[23] Bu gün ziyâde yaġmur yaġub balcıḳdan çokluḳ zaḥmet çekildi : MD V, p. 590.
[24] Ziyâde bârân olmaġın ikindi dîvânı olmadı : MD V, p. 603.
[25] Feridûn, 14 r°–v°.
[26] Feridûn,  17 r°–v°;  document  TKSE  1421,  cité  par  G. Káldy-Nágy,  « Süleimans Angriff auf Europa », in Acta Orientalia Academiae Scientarum Hungaricae XXVIII, 1974, p. 163–212, p. 210.
[27] Art. cit., loc. cit.
[28] MD V 1747.
[29] MD V 1784
[30] MD V 1665
[31] MD V 1797, 1798.
[32] MD V 1831 à 1836.
[33] sunuñ yerine inmesine tavaḳkuf ba‘îs̱-i te’ẖîr-dür (MD V 1797).
[34] Feridûn, 9 v°–10 r°.
[35] Cf. Yerasimos, op. cit., p. 52–53.
[36] Selânikî, p. 18 ; MD V p. 557.
[37] Feridûn, 70 r°.
[38] Sur le début des campagnes militaires, cf. R. Murphey, op. cit., p. 20–21.
[39] Feridûn, 59 r°.
[40] Selânikî, p. 39.
[41] Cf. R. Murphey, op. cit., p. 21–25, 68–70.
[42] Cf. N. Vatin, art. cit., p. 242.
[43] Feridûn, 81 r°.
[44] Par exemple à Rhodes en 1522, en 1553 à Alep et Tokat, en 1554 dans le Karaman, en 1559 sur la frontière iranienne.
[45] Cf. G. Veinstein, « L’hivernage en campagne, talon d’Achille du système ottoman classique.  À  propos  des  sipahi  de  Roumélie  en  1559–1560 »,  Studia  Islamica  LVIII (1983), p. 109–143.
[46] R. Murphey, qui rappelle en particulier comment des retards au retour à première vue minimes avaient pu avoir des conséquences catastrophiques – notamment en raison des crues en Hongrie –, conclut (op. cit., p. 69–70) : « The necessity of bringing the campaigning season to a close by the mid-to-late October cut-off point was dictated, not just by long-established military custom or acquiescence to troops’ demands for winter leaves, but above all by practical necessity. » Mon propos ne vise nullement à contredire cette affirmation, les considérations pratiques n’étant en aucune façon incompatibles avec le désir de s’en tenir à la coutume.
[47] Selânikî, p. 46. Cf. aussi p. 56, où il nous est dit qu’en effet les beylerbey conti-
nuèrent à servir jusqu’au rûz-ı ḳâsım.
[48] Sur le jour de kasım / Saint-Démètre et celui de Hızır İlyas / Saint-Georges qui délimitent la mauvaise saison, cf. L. Bazin, op. cit., p. 505 sqq.
[49] À commencer par son père Soliman quelques mois plus tôt : cf. Feridûn, 9 v°. Pour être plus précis, il faut ajouter que, selon Feridûn, Soliman, épuisé après la visite du tombeau d’Ebû Eyyûb, dut confier au grand vizir le soin de faire les autres pèlerinages. Mais cette anecdote même montre l’importance qu’on accordait à ces rites.
[50] Sur ces questions, cf. Nicolas Vatin « Aux origines du pèlerinage à Eyüp des sultans ottomans », in Turcica XXVII, 1995, p. 91–99 ; Nicolas Vatin et Gilles Veinstein, Le Sérail ébranlé. Essai sur les morts, dépositions et avènements des sultans ottomans. XIVe–XIXe  siècle, Paris, Fayard, 2003, p. 305 sqq.
[51] Cf. Joseph Matuz, Das Kanzleiwesen Sultan Süleymâns des Prächtigen, Wiesbaden, Franz Steiner, 1974, p. 11 sqq. ; Konrad Dilger, Untersuchungen zur Geschichte des osmanischen Hofzeremoniells im 15. und 16 Jahrhundert, Munich, 1967, p. 37–47 ; İ. H. Uzunçarşılı, Osmanlı Devletinin Merkez ve Bahriye Teşkilatı, Ankara, TTK, 1948, repr. 1984, p. 1–7 ; Bernard Lewis, « Diwan-ı Humâyûn », Encyclopédie de l’Islam, II, 1961, p. 347–349 ; Gülrü Necipoğlu, Architecture, Ceremonial, and Power. The Topkapı Palace in the Fifteenth and Sixteenth Centuries, Cambridge (Ma)-Londres, 1991, p. 76–84. Je n’ai pas pu me procurer l’ouvrage d’Ahmed Mumcu, Hukuksal ve Siyasal Karar Organı Olarak Divan-ı Hüymayun, Ankara, 1986, mais ai consulté son article « Divân-ı Hümâyûn » in Türkiye Diyanet Vakfı İslâm Ansiklopedisi, IX, 1994, p. 430– 432.
[52] Cf. J. Matuz, op. cit., p. 12–15.
[53] Caractéristique de ce point de vue est un passage du Kitâb-ı müstetâb,  traité
anonyme vraisemblablement daté du règne d’Ahmed Ier, où il est affirmé que Selîm II prit à cœur tout au long de son règne de faire en sorte de toujours être présent pour recevoir quatre jours par semaine les membres du divan à l’issue du conseil, revenant au Palais pour l’occasion quand il était en villégiature ou à la chasse : cf. Ahmed Akgündüz, Osmanlı Kanunnameleri IX, Istanbul, Osmanlı Araştırmaları Vakfı, 1996, p. 639. Quelle qu’ait été la réalité de la pratique, il est clair que cet Ottoman du début du XVIIe siècle attachait une grande importance à la régularité de la tenue des conseils suivis de la réception des responsables par le sultan.
[54] MD V, p. 903 : ziyâde bârân olmaġın ikindi divânı olmadı.
[55] Feridûn, 53 r°–v°.
[56] Selânikî, p. 36–38.
[57] Selânikî, p. 36.
[58] Dans un article récent (« Comment on garde un secret », art. cit., p. 253) j’ai
cru – à tort – devoir corriger cette date en me fiant plutôt au quantième indiqué par
Selânikî (le 14 rebî‘ü-l-evvel ) d’après l’idée que, sur les quatre jours hebdomadaires de divan, seuls le dimanche et le mardi étaient des jours de réception par le sultan (‘arẓ günü). En fait, les plus anciens auteurs ottomans à parler de deux jours d’‘arẓ sont à ma connaissance Eyyûbî Efendi (cf. A. Özcan éd., Eyyubî Kanûnnâmesi, Istanbul, Eren, 1994, p. 27) et Hezarfen (Hezarfen Hüseyin Efendi, Telhisü-l-beyân fî kavanîn-i âl-i Osman, S. İlgürel éd., Ankara, TTK, 1998, p. 74), tous deux du XVIIe  siècle. Dans son article « Diwân » cité supra, B. Lewis renvoie également au rapport d’Ottavio Bon, sous le règne d’Aḥmed Ier. La limitation à deux ‘arẓ güni par semaine est donc antérieure à Aḥmed Ier et probablement postérieure à Selîm II : cf. le Kitâb-ı müstetâb cité ci dessus ; İ. H. Uzunçarşılı, op. cit., p. 4 et 30–35 ; Mübahat S. Kütükoğlu, « Arz », in Türkiye Diyanet Vakfı İslâm Ansiklopedisi, III, 1991, p. 439–440.
[59] Cf. Selânikî, p. 37 : Dîvân eylemek yaramaz-mı-dur müteḳḳadimîn aḥvâli bilmezmisüñüz tevârîẖ oḳumaduñuz-mı (« Est-ce nuisible de tenir divan ? Ne savez-vous pas comment les affaires se réglaient autrefois, n’avez-vous pas lu les historiens ? » La seconde partie de la phrase prêtée à Feridûn fait référence à la façon dont on avait dissimulé la mort de souverains précédents.
[60] Selânikî, p. 38–39.
[61] Feridûn, 106 v°–111 v°. Dans ce passage, les dates de Feridûn correspondent à un calendrier de l’Hégire commençant le 15 (et non le 16) juillet 622, en sorte qu’on constate une incohérence apparente avec les jours de la semaine qu’il indique. Il convient donc de se fonder sur ces derniers pour établir une concordance avec le calendrier grégorien. Ce choix, considéré comme le plus raisonnable, est normalement adopté faute de mieux quand on n’a pas d’autres éléments pour trancher (cf. I. et N. Beldiceanu, art. cit., p. 21). Mais dans le cas présent, on est conforté par le registre de compte de la campagne conservé aux archives du Başbakanlık (Istanbul ) sous la cote MAD 2356. En effet, d’après ce document (qui du reste adopte le même calendrier de l’Hégire) l’armée était à Belgrade le jeudi et l’entrée suivante, datée du samedi, donne une liste de gratifications « de condoléance » pour la mort de Soliman, évidemment officiellement décrétée par Selîm II à l’occasion de son premier divan.
[62] Cf. Sahillioğlu, art. cit. On a déjà noté supra, à propos des ẖarclıḳ, comment le
calendrier fiscal n’était pas toujours compatible avec les exigences de la guerre.
[63] Les  indications  sur  le  calendrier  et  le  protocole  de  la  paie  fournies  par
İ. H. Uzunçarşılı (Osmanlı Devleti Teşkilâtından Kapukulu Ocakları I, Ankara, TTK,
1984, p. 411–412) et Mehmet Z. Pakalın (Osmanlı Tarih Deyimleri ve Terimleri
Sözlüğü, III, Istanbul, Millî Eğitim Basımevi, 1983, p. 544–546) semblent concerner
des périodes postérieures.
[64] Evâ’il-i şehr-i rebî‘ü-l-âẖırda inşâ-lláh ‘ulûfe vérilüb hem-ân üç günden göç déyü tenbîh  olınub  iş-bu  bir  ḳaç  günde  pâye-i  serîr-i  ‘âlem-masîre  yüz  sürilür  (Selânikî, p. 44). On ne sait pas ce qu’il en fut en pratique. La première décade de rebî‘ü-l-âẖır est celle du 16 au 25 octobre 1566, et on sait que l’armée ottomane leva le camp le 17.
[65] S. J. Shaw remarque (op. cit., p. 308) que si dans certains cas on pouvait compter séparément les dépenses correspondant aux onze jours supplémentaires, ce n’était pas possible pour les dépenses fixées d’après le calendrier lunaire pour des raisons religieuses.
[66] Selânikî, p. 35
[67] Selânikî, p. 36.
[68] Feridûn, 38 r°.
[69] Coran LXI 13 : « Vous aimez autre chose encore : un secours venant de Dieu et une prompte victoire. Annonce la bonne nouvelle aux croyants ! »
[70] Feridûn, 10 r°.
[71] MD V 1977 : inşâ’ Alláh te‘âlà ‘îd-i şerîf Zemûnda olub anda ẖaylî oturaḳ olmaḳ niyyet olınmış-dur.
[72] Feridûn, 124 r°, 136 v°.
[73] Selânikî, p. 36.
[74] C’est-à-dire plus tôt qu’on ne le dit généralement. Sur ce point et sur ce qui suit, cf. Vatin, « Comment on garde un secret » art. cit., p. 246–247.
[75] ‘Âdet olınageldi-ise be her ḥâl ‘âdet icrâ étmek gerek (document TKSE 11680/1 des archives du Palais de Topkapı, in Vatin, « Comment on garde un secret », art. cit., p. 240).
[76] Feridûn, 63 v°–64 v°.
[77] Selânikî, p. 41–42.
[78] Selânikî, p. 42.
[79] Selânikî, p. 48.
[80] Feridûn, 57 v°–58 r°, 62 r°, 86 v° ; Vatin, « Comment on garde un secret », art. cit.
[81] Feridûn, 71 r°–v°.
[82] Selânikî, p. 41.
[83] Selânikî, p. 47 ; cf. également Feridûn, 105 v°–106 r°.
[84] Feridûn, 112 r°–v°. Sur les faveurs inaugurales d’un nouveau sultan, cf. Vatin et Veinstein, Le Sérail ébranlé, op. cit., p. 333 sqq.
[85] Feridûn, 114 v°–115 v°.
[86] Sur le retour de Selîm II, cf. Vatin et Veinstein, Le Sérail ébranlé, op. cit., p. 410 sqq.
[87] En cette circonstance, Selîm II avait malencontreusement tenté de jouer avec le temps. Monté sur le trône à Istanbul en l’absence de l’armée, il avait pensé pouvoir profiter du décalage chronologique entre son intronisation et sa rencontre avec les hommes pour s’exonérer de la coûteuse pratique du baẖşîş. Les soldats ne l’entendirent évidemment pas de cette oreille . . .
[88] Selânikî, p. 47.
[89] Feridûn, 79 v°.
[90] Feridûn, 35 r°.
[91] Feridûn, 46 r°–v°.
[92] Feridûn, 8 r°.
[93] Feridûn, 19 v°.

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Excerpts from reports about events near Sisak in 1593

Source:  Spomenici hrvatske Krajine: Od godine 1479 do 1610, Volume 1, edited by Radoslav Lopašić https://books.google.ca/books?id=tHLvuERLU...