Siget – Histoire
Universelle de Jacques Auguste - 1564-1570
Source:
https://books.google.ca/books?id=phZEAAAAcAAJ
Note: There are probably OCR errors that I can't catch since I am not a French speaker. This is a translation of a book written in 1620 in Latin. Also this is in a 1734 version of French. There appears to be an English translation but I can't find online the volume that contains 1566.
Start on page 149
Tandis que ces choses se passoient à Ausbourg, Charle frere de l'Empereur tint à Presbourg l'assemblée, qui y avoit été indiquée. Il trouva les esprits de tous les seigneurs de Hongrie si bien disposez que non seulement ils accorderent tout ce qu'on leur demandoit pour une cause si juste & si nécessaire, mais qu'ils déclarerent qu'ils iroient eux-mêmes à la guerre, si l'Empereur ou quelqu'un de ses freres s'y trouvoit en per sonne. L'assemblée étant finie, Charle vint aussi-tôt à Vienne, & obtint la même chose des Etats d'Autriche, qui consentirent à une levée de deniers, pour rétablir les fortifications de la ville, & à plusieurs autres reglemens utiles, qui furent
faits.
sur la fin de la Diete l'Electeur Auguste de saxe, qui étoit venu avec quinze cens cavaliers bien équipez, reçut de l'Empereur son investiture en grande pompe, avec les ceremonies accoûtumées. On fit la même grace aux Députez des ducs de Weymar, & de l'Electeur Palatin, qui étoient absens. Guillaume Grombach, qui s'étoit emparé de Wirtzbourg trois ans auparavant, & qui l'avoit pillé, fut encore une fois proscrit publiquement dans cette Diete le 13 de Mars, avec Ernest de Manesloé, Guillaume steyn, & ses autres associez, qui étoient retirez dans le château de Gotha, chez Jean Frederic de saxe.
Cependant Jean Prince de Transylvanie ayant pris le titre de roi de Hongrie, de Sclavonie, de Croatie, & de stirie, écrivit aux Villes, aux Grands, & à la Noblesse de ces Provinces, que l'Empereur des Turcs lui avoit envoyé un Chiaoux, avec une lettre, par laquelle il lui mandoit d'exhorter tous les Ordres du Royaume de Hongrie à lui rendre l'hommage & l'obéissance : Qu'ils lui feroient un grand plaisir, s'ils vouloient vivre en union entre eux, & s'ils ne contestoient qu'à qui auroit plus de zele pour son service, afin de n'être plus obligez à lever si souvent des troupes, à faire des préparatifs de guerre si ruineux, & à entreprendre des voyages si pénibles : Qu'ils pensassent donc sérieusement à eux, quand ils le pouvoient encore, avant qu'il entrât dans la Hongrie; parce qu'ils y penseroient trop tard, lorsque l'ennemi seroit dans leurs payis : Que pour exécuter ces ordres de soliman, & s'acquitter en même tems de ses obligations de ce qu'il devoit à Paffection qu'ilavoit pour son Royaume, il les exhortoit avec bonté, pour leur propre interêt, de rentrer dans leur devoir; de consulter de bonne heure entr'eux, tandis qu'il leur étoit permis de le faire, & de prendre de sages mesures, pour détourner l'orage qui menaçoit leur patrie, leurs femmes, leurs enfans, & leurs propres personnes : Que pour lui, il feroit ensorte d'être toûjours le même à leur égard, & de ne se jamais départir de sa clemence, de sa douceur & de sabonté : Qu'en fin il agiroit auprès de soliman d'une maniere à leur persuader, qu'il n'avoit rien plus à coeur que la conservation de la Chrétienté, & le bien commun du payis. Dans la même lettre Jean indiquoit une assemblée à Torda pour le 10 de Mars, déclarant, que comme tous n'y pouvoient pas venir, il étoit à propos, pour épargner les frais, d'envoyer quatre personnes d'autorité & distinguées par leur prudence, avec de pleins pouvoirs.
Comme on fit courir
plusieurs copies de cette lettre dans la Hongrie, & dans les Provinces
voisines, Schwendi, qui étoit pour lors à Unghvar, y opposa promtement une espèce
de réponse, dans la lettre qu'il écrivit le 4 de Mars en son nom, comme
Lieutenant de l'Empereur dans ces Provinces. A l'occasion de la lettre du
Prince de Transylvanie, remplie d'ostentation & de déguisement, il
exhortoit les Grands à se dé fier d'un homme, qui leur offroit la protection de
l'ennemi commun des Chrétiens; comme si le Grand-Seigneur se soucioit de leur
conservation, & prenoit quelque intérêt à leurs personnes, & à ce qui
les touchoit; comme si depuis deux cens ans, & plus, ses ancêtres & lui
n'avoient pas fait tous leurs efforts pour ruiner un Royaume si florissant, ou
par la force des armes, ou quand ils ne le pouvoient de cette maniere, par des
pieges & des artifices, & par les dissentions qu’ils semoient entre les
Grands. Schvendi ajoûtoit que pour lui, il ne doutoit nullement de leur fidelité
& de leur prudence; mais qu'il avoit cru qu’il étoit de son devoir de les
exhorter à ne rien relâcher de leur ancien zéle pour les intérêts du Royaume,
& le service de l'Empereur, & à se préparer à soûtenir courageusement
une guerre aussi juste que nécessaire; puisqu'ils'agissoit de la conservation
de leur Religion, de leur patrie, & de leurs propres familles; qu'ils
avoient lieu d'esperer de Dieu un heureux succès, & qu'ils devoient être
persuadez que le Prince de Transylvanie, auteur de tant de calamitez, ne
tarderoit pas à être puni de son impieté. Enfin il leur défendoit de la part de
l'Empereur, d'avoir aucun commerce avec lui, & d'envoyer qui que ce fût à
l'assemblée qu'il avoit indiquée, sous peine d'être traitez comme rebelles,
& punis des plus terribles supplices.
Déjà le prince de
Transylvanie & les Turcs étoient en campagne: ayant attaqué inopinément
Ayſnac, ville dégarnie, près d'Agria, pendant l'absence du Gouverneur, ils la
prirent par escalade le 23 d'Avril, & taillerent en pieces ceux qui la
défendoient. Enflez de ce premier succès, ils s'avancerent jusqu'à Zigeth.
Nicolas de Zrin marcha contre eux avec un détachement. Le combat dura quatre
heures entieres: les Infideles furent battus, mis en fuite, & forcez de se
retirer à Cinq-Eglises.
Vers le même tems
la Diete d'Ausbourg étant finie, Maximilien commanda aux principaux chefs des
armées d'Allemagne de lever par tout des troupes. Voici à peu près quels
étoient ces Chefs: Philbert marquis de Bade, George Helfenstein, Nicolas
Hadstadt, Guillaume Walterthumb, Louis Ungnad, Bouchard de Barby, Jacque
Schullembourg, Christophle Schellendorf, George Praun; Gonthier comte de
Schuartzembourg, Christophle de Liechtenstein, Zacharie Gromberg, & Bernard
Hardeck.
D'Ausbourg
l'Empereur vint à Vienne, autrefois la capitale de la haute Hongrie, & à
present de l'Autriche. Ce Prince fit presque toûjours son ſéjour dans cette
ville. Aussi-tôt un courier vint lui apprendre, que Soliman étoit parti de
Constantinople, & qu'ayant marché à grandes journées par sofia, sur les
confins de la servie, & par Nissa, il étoit arrivé dans la Bulgarie avec
soixante & dix mille hommes; qu'il s'avançoit vers Belgrad; qu'il avoit
envoyé devant lui le Bacha Haly Pertaw avec plusieurs Gouverneurs de Province,
& qu'il avoit donné ordre au Général des Spahis de Natolie de passer par
Gallipoli. de prendre les troupes qui y étoient, & de le venir joindre.
Lorſque Soliman fut arrivé à Belgrade, Jean vint le trouver avec des presens:
ayant été admis à son audience, il baisa la main tutelaire de son puissant
protecteur, & le remercia de ce qu'il vouloit bien continuer avec tant de
zele à venger son vassal des injures qu'on lui avoit faites.
Cependant
Schwendi assiégeoit Hust, & le serroit de très près. Plus l'ennemi étoit
proche, plus il pressoit le siége. D'un autre côté le Bacha de Bude avoit
commencé le 6 de Juin le siége de Palotta, ville à huit milles de Javarin,
proche d'Albe-Royale. Les murs étant presque entierement ruinez par le feu du
canon, qui n'avoit pas cessé de tirer pendant huit jours, le Gouverneur de la
place, George Thuvry, grand homme de guerre, & qui avoit déjà soûtenu plusieurs
assauts avec une extrême valeur, fut dangereusement blesſé d'un éclat de
pierre. La ville étoit en très-grand danger, & le Bacha qui l'assiégeoit,
voulant paroître avoir fait quelque chose avant l'arrivée de Soliman, en
pressoit extrêmement le siége. Déjà les assiégez, qui n'avoient plus aucune
esperance d'être secourus, pensoient à capituler, lorſque les Turcs épouvantez
par les bruits qui se répandoient de l'arrivée des troupes, qui venoient les
attaquer par derriere, leverent inopinément le siége, & emmenerent leurs
canons, à la réserve d'un seul qu'ils avoient auparavant rompu, dequelques
barils de poudre, & de quelques muids de farine, dont les assiégez
s'emparerent. George comte d'Helfenstein étant venu à Javarin avec douze
enseignes d'infanterie, envoya le 14 de Juin quatre-vingts-dix charettes au
fourage, ausquelles il joignit un détachement de neuf cens hommes. Les espions
Turcs les ayant découverts, & s'imaginant que le nombre en étoit plus
grand, avertirent le Bacha, Comme il crut qu'ils étoient envoyez pour lui faire
lever le siége; il plia promtement bagage, & se retira de devant Palotta.
On en rétablit aussi-tôt les murailles, & on augmenta la garnison du
Château.
Il y avoit déjà
dans l'armée Impériale quatre regimens Allemands commandez par Romer
Wallerthumb, Balderdun, Helfenstein, & Pollviller. On prétend qu'il yavoit
vingt mille Chevaliers de l'Ordre Teutonique", quatre mille Hongrois fort
bien armez, & un grand nombre de troupes auxiliaires. Le duc de Savoye y
avoit envoyé quatre cens mousquetaires à cheval; Côme duc de Florence, quatre
mille hommes de pié, qu'il entretenoit à ses dépens: Guillaume de Gonzague duc
de Mantouë, &se les Républiques de Genes & de Luques envoyerent leurs
secours en argent. Alfonse d'este duc de Ferrare, outre la somme de cent mille
écus d'or qu'il avoit prêtée à l'Empereur, voulut aller en personne à cette
guerre, avec une grande quantité de très-brave Noblesse. Tous les jours il
arrivoit au camp de toutes les parties de l'Europe plusieurs Princes, Seigneurs
& Gentilhommes, qui accouroient au bruit de cette expedition. L'Empereur
avoit aussi équipé une flotte sur le Danube, composée de douze galeres & de
trente bâtimens de charges, qui portoient trois mille arquebusiers presque tous
Italiens, que commandoit Flaëchk Allemand, Chevalier de Malte; ces vaisseaux,
qui étoient construits de maniere qu'on étoit à l'abri des fléches, portoient
l'artillerie & les bagages. En attendant que toute l'armée se fût assemblée
à Javarin, le comte de Salms, qui commandoit dans cette place, vint avec la
plus grande partie des troupes à Palotta, qu'on rétablissoit. Après y avoir
laisſé les vivres & le bagage, il s'avança avec un détachement de cavalerie
jusqu'à Vêprin, grande ville, mais peu fortifiée, à deux milles de Palotta, pour
la reconnoître; il avoit donné ordre au reste de l'armée de le suivre de près.
Les avant coureurs s'étant approchez de la ville, le commandant fit tirer
quelque coups de canon; les murs qui tomboient de vetusté, & qui étoient
d'ailleurs très-foibles, en furent ébranlés, en sorte qu'il en tomba une
partie: le comte de Salms en tira un bon augure. Ayant pris quelques espions
Turcs, il apprit d'eux que le Gouverneur de Vêprin étoit sorti de la place,
& avoit emmené avec lui la meilleure partie de la garnison, dans le dessein
de faire des courses, & de harceler les Chrétiens. Il fit donc approcher
ses troupes, qui ne firent rien ce jour là, parce qu'elles furent surprises de
la nuit. Mais le lendemain, elles se mirent dès le grand matin en devoir d'escalader
la ville; & quoique ce qui étoit
resté de la garnison eût employé toute lanuit à en réparer les ruines, elles ne
laisserent pas de l'attaquer: elles jetterent dans la place quantité de pots à
feu, brûlerent les portes, tuerent les sentinelles, & se rendirent maîtres
de la place.
Les principaux se
retirerent en vain dans la citadelle, ou se cacherent dans les caves; on les en
tira aussi-tôt, & ils furent tous tuez, parce que quelque tems auparavant
ils avoient cruellement égorgé un grand nombre de prisonniers Chrétiens. On
épargna néanmoins quelques Seigneurs qui furent pris, & envoyez à
Presbourg, pour être gardez dans la citadelle. Le comte de Salms ayant mis
Thuvry dans Vêprin avec une bonne garnison, retourna à Javarin. La joie de cet
heureux succès fut mêlée de tristesse: on apprit que les Impériaux qui étoient
en garnison à Leventz, ville située proche les châteaux des Montagnes, étant
sortis pour attaquer l'ennemi, avoient été surpris dans des embuscades, &
que plusieurs avoient été tuez oublessez, & entr'autres Barthelemy Howat,
homme trèsdistingué par son courage & par son habileté dans le métier de la
guerre.
L'armée Impériale
marcha vers Thatan ou Theodate,ville située entre Javarin & Comar, qui
incommodoit fort les Impériaux. C'est une très-petite place, qui n'est éloignée
du Danube que de quelques lieuës vis-à-vis de Comar. Le comte de Salms en fit
approcher ses troupes le 19 de Juillet dès le matin. Ayant apperçû un Turc
qu'il connoissoit de vûë, il demanda à lui parler, & la garnison le permit.
Il fit dire par ce Turc aux assiégez, que s'ils vouloient se rendre, il les
renvoyeroit vies & bagues sauves. Le Turc l'asſûra qu'il n'y consentiroient
point: cependant il demanda un peu de tems, jusqu'à ce qu'on eût réponse du
Gouverneur de Bude, & qu'en attendant on ne fit rien de part & d'autre.
Les Impériaux, après avoir attendu quelque tems, attaquerent la ville; mais
ceux qui étoient dedans la défendirent très-vigoureusement, avec vingt-quatre
pieces d'artillerie, qu'ils ne cessoient de tirer. Le comte de Salms fit
avancer six canons, & commanda à Verdun d'attaquer avec ses troupes
l'endroit où la muraille étoit tombée. Mais comme il y avoit beaucoup de danger
à n'attaquer les assiégez que d'un seul côté, voici comme il distribua ses
gens: il mit dans le côté gauche d'une vallée mille arquebusiers qui étoient dans l'eau jusqu'à la moitié du
corps, & autant du côté où les murailles avoient été abatuës par le canon.
Puis étant allé avec deux mille hommes
de pié à l'autre côté de la ville, il fit promptement donner le signal de
l'assaut. La garnison, persuadée que toute l'attaque se feroit du côté de la
muraille abattuë y accourut, donna vivement sur les Impériaux qui sortirent de
l'eau, & le combat fut très-opiniâtré. Cependant le comte de Salms attaqua
la porte, la brisa, & entra inopinément dans la ville. Tous ceux qui
étoient dedans, surpris & investis de toutes parts, furent taillez en
pieces. Il n'y en eut que cinquante, qui sauverent leur vie, en se retirant
dans une tour, & qui se rendirent. Le Gouverneur de la place & celui de
Vêprin furent de ce nombre, avec quelques-uns des principaux officiers de
l'armée ennemie, qu'on envoya prisonniers à Vienne. Maximilien, qui y étoit
alors, reçût la nouvelle de ces heureux succès le 24 de Juillet. On en rendit à
Dieu des actions de graces, & l'on ordonna des prieres.
En même-tems les
Turcs, qui étoient dans le château de Gestern, ayant pris l'allarme à
l'approche du comte de Salms, abandonnerent cette place; & à leur exemple,
ceux de Vithan, d'ischoki, de Sanbochi, & de plusieurs autres châteaux, en
sortirent après y avoir mis le feu, & se retirerent à Gran, où l'on croyoit
que le comte de Salms devoit aller. C'eftainsi que la paix fut rétablie dans un
payis, qui étoit auparavant pillé & désolé par les voleurs, que les
Hongrois appellent Heidons, les Polonois Cosaques, ceux de Dalmatie uscoques,
les Turcs & les Sclavons Martellois,& les Allemands Freibutters.Le
premier soin fut alors de faire tous les préparatifs nécessaires pour bien
recevoir un si puissant ennemi, qui étoit sur le point d'arriver. Pendant que
les troupes s'assembloient à Javarin, on observa sa contenance & sa marche.
Maximilien plein de pieté & de Religion, ſçachant que toutes les forces
humaines sans le secours de Dieu ne sont que foiblesse & impuissance, avoit
ordonné sur toutes choses e faire tous les jours à Vienne & dans le camp,
au son de la cloche, des prieres publiques à genoux, pour obtenir de Dieu le
salut & la conservation del'Etat. Ainsil'on voyoit dans les ruës à la
ville, dans les chemins à la campagne, chacun se mettre à genoux au son de la
cloche, & ceux qui étoient à cheval en descendre pour prier. Il défendit
aussi par un édit tous les spectacles, les jeux, les danses, & généralement
tous les amusemens, qui entraînent les hommes à la volupté.
Vers le même tems
Adrien Baglioni, qui s'étoit acquis beaucoup de réputation & de gloire à la
guerre, vint en diligence d'Italie à Vienne, & depuis l'Empereur lui donna
le commandement des troupes auxiliaires Italiennes. Alfonie Caltaldo le suivit
de près avec ses troupes. Il y vint aussi de la part du duc de Savoye quatre
cens mousquetaires à cheval fort bien équipez, sous les ordres du comte de la
Chambre, excellent homme de guerre, avec les troupes auxiliaires de Côme, sous
la conduite d'Aurele Fregose. Un grand nombre de Seigneurs de diverses parties
du monde vinrent d'eux mêmes, au bruit de cette guerre, pour servir dans
l'armée Imperiale. On y vit arriver de France le jeune Henri de Lorraine, fils
du duc de Guise tué au siége d'Orleans. Tout jeune qu'il étoit, appellé à la
guerre de Hongrie par le courage martial naturel à sa Maison, & brûlant
déjà à cet âge du desir d'acquerir de la gloire dans le metier des armes, il se
rendit au camp, avec une troupe nombreuse de jeune noblesse Françoise. Bien-tôt
après Timoleon de Cosſé, Philippe strozzi, & Gui de Saint Gelais de Lansac,
qui étoient accourus l'année précedente au secours de Malte, mais trop tard, se
rendirent en Hongrie, après avoir traverſé l'Italie. On y vit aussi arriver de
la Noblesse d'Angleterre, comme Thomas Smith, Guillaume Gorges, Henri
Champernoun, Philippe Budshil, Richard Grenvill, & Thomas Wotton. Albert Laski
Palatin de Pologne, qui possedoit plusieurs châteaux en Hongrie, y vint trouver
l'Empereur, non comme Seigneur Polonois, mais comme un des Seigneurs de
Hongrie, avec trois mille hommes de cavalerie, vêtus à la Hongroise, afin de ne
pas donner lieu de croire, qu'on violât la tréve qui étoit entre le Polonois
& le Turc.
Lorſqu'on tint
conseil sur les opérations de la campagne, on opina d'abord qu'il falloit faire
le siége de Gran; parce qu'en renant cette place, on empêcheroit les Turcs de
prendre Giula & Zighet. D'autres au contraire soûtinrent, qu'en assiégeant
Gran, on se mettoit dans la nécessité de courir les risques d'une bataille, que
la proximité de l'armée de Soliman rendoir inévitable. C'est, disoient-ils, ce
qu'on doit éviter avec soin, n'étant pas prudent d'exposer au hazardd'un seul
combat, dont le succès est toûjours très-douteux, toutes les forces de la
Chrétienté: ils concluoient qu'il
falloit renvoyer le siége de Gran à un tems plus favorable. Maximillian fut de
ce dernier sentiment, & il se contenta dans la conjoncture où il se
trouvoit, de défendre les frontieres de Norgaw & de la Hongrie.Ainsi il
donna ordre au comte de Salms, de ramener dans le camp les troupes qu'il avoit
mises dans Thatan; parce que cette place étoit trop éloignée du Danube, pour
pouvoiry tranſporter des vivres commodement. Tandis que Maximilien, qui étoit
avec une armée très-nom breuse dans le camp près de Javarin, observoit les
mouvemens & la marche des ennemis; Schwendi, qui avoit reçû ordre de
demeurer dans la haute Hongrie, & dans le payis de Zepsi eut affaire avec
les Tartares", que Soliman avoit mandés à la priere de Jean. Quoiqu'ils
fissent sans cesse des courses des deux côtez du Tibisque, qu'ils désolassent
le payis par leurs vols & leurs brigandages, qu'ils tuassent ou qu'ils
emmenassent en captivité des personnes de tout âge & de tout sexe;
Schwendise contenta d'abord de se tenir sur la défensive, croyant qu'il y avoit
trop de danger de leur livrer bataille, tant qu'ils seroient si superieurs en
nombre, & qu'il falloit temporiser jusqu'à ce que ces hommes naturellement
gourmands se fussent eux-mêmes détruits, en mangeant avec avidité des fruits
précoces, & des raisins en trop grande quantité. En effet ayant été
instruit au bout de quelque tems que ces troupes barbares étoient accablées de
maladies, affoiblies, & très-diminuées, il les attaqua, en défit dix mille
presque sans peine, & obligea le reste à abandonner la Hongrie: un des
commandans Turcs, sous la conduite desquels ils étoient entrez dans le payis,
fut tué, & l'autre blesſé à mort.Après cette victoire, Schwendi se rendit
maître des forteresses ou châteaux de Zabathka, de Pelsewcz, de Gombazzek, de
Krasnahwka, & de Gady, appartenans à George Bebeck, qui avoit abandonné le
parti de l'Empereur, pour embrasser celui de Jean, & qui s'étoit joint aux
Turcs. Schwendi prit encore d'autres châteaux voisins.
Soliman étoit sur
le point de partir de Belgrade, lorſque ses avant-coureurs ayant pasſé le Drab
" rencontrerent une troupe d'Impériaux, proche la forteresse de
sielovesch. Le comte de Zrin, qui avoit appris par ses espions l'arrivée des
Turcs, avoit envoyé un détachement sous la conduite de Gaspard Alapian, de
Nicolas Cobachs, & deplusiers autres chefs, avec ordre d'attaquer les
ennemis, s'il se presentoit une occasion favorable de les surprendre, & de
les combattre avec avantage. Ainsi ayant trouvé dès le grand matin les Turcs,
qui marchoient en désordre, écartez les uns des autres, ils les effrayerent
d'abord, en leur faisant croire qu'ils étoient suivis par un plus grand nombre:
bien-tôt ils les chargerent, en tuerent plusieurs, & mirent les autres en
fuite, Leur Commandant ayant été dangereusement blesſé, mourut dans des lieux
marécageux où il s'étoit caché: son fils avec plusieurs autres fut pris &
amené à Zigeth, avec un grand butin de chameaux, de chevaux, de mulets, & autres
bêtes de charge, & de quantité de vaisselle d'or & d'argent, &
d'argent monnoyé.
L'Empereur avoit
donné le commandement général de toute l'armée à Ferdinand son frere, & en
son absence à Gonthier de Schwartzembourg, & il avoit nommé Paul de Zara Grand
Maître de l'artillerie. Pour lui il partit de Vienne le 12 d'Août, Jean
Frederic duc de Pomeranie portant devant lui l'étendart Impérial; & il vint
droit à Altembourg, à deux milles de Javarin. La cavalerie du Royaume de Bohême
étoit arrivée, & en l'avoit distribuée en sept compagnies, qui faisoient la
guerre à leurs dépens. Il y étoit aussi venu de la cavalerie de la silesie
& de la Lusace, commandée par Teufel & par Schwartzembourg Dans le
même-tems arriverent d'Italie Prosper Colonne, Angelo Cesi, & Nicolas
Gambara, chacun avec une nombreuse suite; & après eux Alfonse d'este duc de
Ferrare, avec quatre cens Gentilshommes bien équipez, trois cens arquebusiers,
trois cens chevaux legers, & autant de gendarmes, sous la conduite de
Corneille Bentivoglio, & d'Ercolino Contrarii, tous parez comme pour une
fête. Wolfang & Richard Palatins de Neubourg, & le plus jeune des
Princes de Baviere vinrent aussi joindre l'armée à Javarin. Cependant Soliman,
après avoir pasſé le Save, voulut aussi faire passer à ses troupes le Drave,
qui sort des montagnes du Norgaw, dans le payis de Valérie ou stirie, &
reçoit le Mure, & se jette dans le Danube. Pour cela il fit faire un pont
d'une structure admirable, qui avoit plus d'un mille de longueur, &
quatorze coudées de largeur. Il fut fait en douze jours, & Soliman y
employa plus de vingt-cinq mille hommes. son dessein fut d'imiter le pont
fameux, que Cesar fit autrefois construire sur le Rhin avec tant de diligence
& d'habileté. Ce sultan, qui avoit autant de courage & d'élevation dans
l'esprit, qu'aucun de ses prédécesseurs, se plaisoit beaucoup à la lecture de
l'histoire, & avoit fait traduire en sa langue les commentaires de Cesar,
voulant passer pour héritier de ses vertus & de sa gloire, comme il l'étoit
de son Empire. Pour venir à bout d'un ouvrage, qui avoit été plusieurs fois
commencé sans succès, à cause de la rapidité de l'eau, Soliman ordonna qu'aux
endroits, ou l'on ne pouvoit employer les poutres & les autres piéces de
bois, à cause de la largeur, de la rapidité & de la profondeur du fleuve,
on y suppleât par des barques & de grands batteaux attachés ensemble avec
de sortes chaînes de fer. Par ce moyen le pont fut continué & achevé, &
l'armée Turque passa dessus, de l'autre côté du Drave le deux de Juillet.
Mustapha, bacha
de Bosnie, Calambey, & plusieurs autres Chefs de l'armée Ottomane, ayant
pasſé la riviere, marcherent vers Ottorrn, & arriverent à Cinq-Eglises le
21 de Juillet, d'où ils eurent ordre de s'avancer vert Albe-Royale, pour être à
portée de secourir le gouverneur de Bude, en cas que les Impériaux
entreprissent quelque chose de ce côté-là. Soliman commanda à Hassan-Beck de
les suivre avec plusieurs compagnies. Peu de tems après le bacha de la Natolie,
ayant pasſé le pont avec un grand nombre de Sangiacs, dressa le pavillon du
sultan dans la plaine de Mohacz. Soliman s'y rendit aussi-tôt ar le même
chemin; & en cinq jours il vint devant Zighet. l campa à S.
Laurent, à un mille de la place, le sept de Juillet, ayant fait deux jours
auparavant trancher la tête à Orostan bacha de Bude, à cause de sa négligence à
remplir les devoirs de sa charge.
Zighet, s'il en
faut croire ceux du payis, fut bâti par un Seigneur nommé Anthemius, sur les
confins de la Hongrie, dans un grand lac d'une mediocre profondeur. Cette place
est environnée de marais de toutes parts, & ne touche à la terre ferme, que
d'un côté, où elle est flanquée de deux bons bastions faits de terre & de
bois, semblables à ces murailles des Gaulois, dont Cesar fait mention. Zighet
est composé de deux villes & de deux citadelles; le front est tourné au
midi; les flancs regardent le levant & le couchant; & l'on n'y peut
aller de part & d'autre que par deux ponts.
Le comte de Zrin
qui commandoit dans Zighet, ayant appris l'arrivée des Turcs, fit assembler
dans la citadelle interieure les Grands, les habitans & les soldats; &
en leur présence il fit un serment solemnel, qu'avec la grace du seul vrai Dieu
en trois personnes, il vivroit & mourroit avec eux; & qu'il garderoit
religieusement les promesses qu'il avoit faites à Dieu & à l'Empereur, son
souverain Seigneur & maître: puis il éxigea d'eux le même serment, &
leur fit promettre qu'ils obéïroient fidelement à l'Empereur & à lui-même,
puisqu'il avoit l'honneur d'être son lieutenant. Il leur déclara ensuite, que
s'il mouroit dans ce siége, il nommoit Gaspard Alapian, pour commander en sa
place. Il les engagea aussi par serment à observer exactement les ordonnances,
par raport à la discipline militaire, qu'il avoit faites, qu'il leur proposa,
& qui étoient dresſées de cette maniere.
“si quelqu'un
réfuse d'obéïr à son officier, s'il méprise ses ordres, s'il met l'épée à la
main contre lui, il sera tué impunement. On tuera de même celui qui aura reçû
ou lû quelques lettres envoyées de la part des Turcs. si quelqu'un en trouve,
qui ayent été jettées dans la ville par des fléches, ou par quelqu'autre moyen
que ce puisse être, il les portera aussi-tôt à son capitaine, qui sera obligé
de lesjetter au feu. Qui aura quitté son poste sans l'ordre exprès de son capitaine,
sera étranglé. S'il se trouve deux soldats, qui trament ensemble quelques
complots, ou qui se parlent tout bas à l'oreille, ils seront pendus sur le
champ. si quelqu'un les voit ou les entend, & ne le rapporte pas à
l'officier, il subira la même peine.”
Après avoir fait
ces ordonnances militaires, & divers autres reglemens pour la distribution
des vivres, & des munitions entre les soldats, il fit dresser une potence
dans la grande place, où il fit pendre, pour servir d'exemple, un soldat
convaincu d'avoir tiré l'épée contre un
officier. Et pour ôter à ses compagnons toute esperance d'obtenir desturcs
aucune grace, ou composition honnête, il fit pendre Mahumet, un des principaux
Chefs de l'armée ennemie, fameux par les meurtres qu'il avoit commis sur le
chemin de Zighet. Ensuite il commanda aux Gentilshommes & aux soldats, qui
demeuroient dans la grande ville, de démolir leurs maisons, & d'en emporter
la paille; & à ceux qui demeuroient dans la ville neuve, de tranſporter de
la paille dans leurs maisons, afin que quand il en seroit besoin, on pût
aisément mettre le feu à la ville, dont les murailles étoient d'ailleurs
construites avec du bois & des fascines. Il fit après cela la revuë des
troupes, & trouva en tout deux mille trois cens hommes de guerre, &
autant d'habitans, sans y comprendre les femmes & les enfans.
Avant l'arrivée
de Soliman, le gouverneur de la Natolie & le bacha Akauski, étoient venus
aux environs avec quatre-vingt dix mille Turcs. Aussi-tôt après il y vint
encore cent mille hommes, & sur le champ ils commencerent dès le point du
jour à escarmoucher entre les palissades, ce qui dura jusqu'à midi. Le
lendemain les mêmes ð abandonnerent ce lieu-là avec dix mille hommes, &
furent se poster à simeleoff, à un quart de mille de la forteresse, sur une
haute montagne peu éloignée des vignes de Zighet. Aussi-tôt ils recommencerent
quelques escarmouches avec les Imperiaux, & continuerent la même chose les
jours suivans, jusqu'à l'arrivée de Soliman, avec perte de beaucoup de gens,
qui furent tuez par le feu de la citadelle. Dès que Soliman fut arrivé, il
s'empara d'une colline qui étoit proche des vignes, & y établit son
quartier. Il fit d'abord tirer de cet endroit tout le canon qu'il avoit amené:
ce qui fut une espece de commencement de siége. Ensuite les Turcs ouvrirent
leurs tranchées, & les conduisirent jusqu'à la nouvelle ville: à la faveur
d'un retranchement & d'un parapet gabionné, ils ſçurent se mettre à l'abri
des canons de la ville; enfin le 8 d'Août, ils commencerent à battre la place
en trois endroits differens. Hali Bacha, grand-maître de l'artillerie Turque,
entreprit la nuit de faire élever une plate-forme, & d'y dresser une
batterie au-dessous de la citadelle interieure, auprès du jardin royal, dans le
marais même qui servoit de fosſé à cette citadelle. Le lendemain il commença à
faire tirer le canon sans discontinuer, depuis le point du jour jusqu'au soir;
en sorte que la tour, qui étoit au dedans de la citadelle, fut renverſée, &
les cloches casſées. La batterie ne cessa pas même pendant la nuit, & tua
plusieurs des assiégez.
Le comte de
serin, voyant qu'il perdoit tant de monde, fit à la pointe du jour mettre le
feu à la ville neuve, & fermer les portes de la vieille citadelle, dont les
ennemis tâcherent de se rendre maîtres. Pour cela ils firent des ponts de bois,
de terre, & de décombres, avec des parapets de sacs de peaux grasses, afin
de se mettre à l'abri du canon de la place; & à la faveur de cette espece
de mantelets, ils s'approcherent tellement, que les assiégez n'oserent plus
paroître. Enfin le 19 d'Août ils donnerent un assaut: le combat fut long &
opiniâtre, & il y eut beaucoup de sang répandu de part & d'autre; enfin
la vieille ville fut prise, & il en coûta la vie à plusieurs braves
officiers, qui n'eurent pas le tems de se retirer dans la citadelle, ayant été
prévenus par les Turcs, qui s'emparerent d'un pont fort long, qui étoit sur le
lac, & qui conduisoit de la ville à la citadelle.
Les Turcs s'étant
rendus maîtres de la ville, formerent dans les marais & dans les fossez
(qui dans cette saison étoient presqu'entierement desſéchez) deux chemins avec
des piéces de bois, des branchages, des fascines, & des démolitions, &
mirent des clayes ar dessus. Deux jours après, Haly attaqua la citadelle, qui
étoit dans la ville: il y perdit beaucoup de monde & fut repousſé. Il
perdit entr'autres le Bacha Miserki, & les assiégez emporterent avec joie
deux de leurs drapeaux. Lesturcs ayant resolu de donner un assaut général, ils
choisirent pour cela le 29 d'Août, jour où l'on célébre la mémoire de la
décolation de S. Jean-Batiste.
Ils avoient une
ferme confiance qu'ils réüſsiroient, parce qu'ils se souvenoient que 45 ans
auparavant Soliman avoit pris Belgrade à pareil jour, que le Roi Louis avoit
été tué à la bataille de Mohatz, & que ce jour-là aussi Rhodes & Bude
avoient été prises. Ils se rappelloient que non-seulement ce jour, mais tout le
mois d'Août avoit été heureux & à Soliman & à selim son pere. En effet
c'étoit dans ce mois qu'ilavoit vaincu le grand ſmaël dans la plaine de
Calderan, & Campson Gore roi de Memphis, auprès du singa. Ils se
ressouvenoient aussi que Bajaset avoit pris dans le même mois d'Août Modon dans
la Morée.
Ce ne fut pas,
comme on le disoit, faute des préparatifs necessaires pour un assaut,qu'ils le differerent
jusqu'au deux de septembre; ce fut parce que la maladie, dont Soliman mourut
bientôt après, augmentoit. Cependant les Janissaires ne discontinuoient point
leurs travaux; ils minerent pendant les nuits la grande fortification, qui
étoit contiguë à la colline; & par les minesils se firent une ouverture
pour aller jusqu'à la palissade du dedans, où ils porterent quantité de bois
sec, des planches, de la paille, & de la poudre. Ainsi le 5 de septembre
les Turcs brûlerent le plus grand bastion de la citadelle du dehors; & le
feu s'augmenta tellement, tant par sa propre force, que par la violence du
vent, qu'après un long combat, les Turcs ayant été repousſés deux fois, le feu
vint enfin jusqu'au magasin de poudre, dont il y avoit grande abondance dans la
grande citadelle exterieure, proche les portes de la petite. Alors le comte de
serin, reduit à la derniere extrêmité, entra avec ses troupes dans la petite
citadelle interieure, & il en fit aussi-tôt fermer les portes, laissant
dehors plusieurs braves guerriers, sans compter les femmes & les enfans,
qui pendant que les Turcs étoient en dispute pour le butin, périrent tous
diverment par le fer & par le feu, ou furent faits esclaves.
Les Infidéles
n'étoient plus ſéparez des assiégez par des ponts, ou par des fossez, ils en
étoient comme aux mains, n'ayant plus qu'une muraille entr'eux & les
Chrétiens. Car les murs de la citadelle extérieure enfermoient la citadelle
intérieure; & il y avoit au-devant un mur par où l'on pouvoit aller droit
& sans détour de la grande citadelle dans la petite: cette petite citadelle
étoit située comme dans un coin de l'autre, & n'avoit point d'autre bastion
pour se défendre, que la grande citadelle, ni d'autres édifices, qu'une ou deux
chambres où logeoit le comte de serin, & quelques maisons où étoit le
magasin de poudre. Pour les vivres, qui étoient encore en assez grande
quantité, & qui auroient pû suffire pour plusieurs jours, ou ils furent brûlez
avec la poudre dans la grande citadelle, ou ils tomberent entre les mains des
Infidéles. Il y avoit si peu de provisions dans la petite citadelle, que
pendant les trois jours qui se passerent jusqu'au dernier assaut, les femmes
& les enfans mouroient miserablement de faim & de soif. De toute
l'artillerie, qui étoit nombreuse, il ne restoit que deux gros canons &
quatorze mortiers. Deux jours après, les Turcs attâquerent les assiégez dans la
petite citadelle, comme ils avoient fait dans la grande: sur le soir ils y
jetterent du feu, qui prit avec tant de violence, & qui fit pendant toute
la nuit de si grands progrès, par la force du vent, qu'il fut impossible de
l'éteindre; & le lendemain ils se préparerent à donner un assaut général.
Alors le comte de
serin voyant qu'il n'y avoit plus aucune espérance, & que la garnison,
extrêmement diminuée, comrin. mençoit à perdre courage, prit une étrange
résolution, que la seule necessité pouvoit inſpirer. Prenant l'air d'un homme
qui brave la mort, il se fit apporter l'habit le plus beau qu'il eût; &
s'en revêtit au lieu de cuirasse: à la place de son casque, il mit sur sa tête
un bonnet de velours, orné d'un diamant de grand prix, & d'un bouquet de
plumes de Heron. S'étant ensuite fait apporter quatre épées, il en choisit une
pour lui, & distribua les autres à ses amis,leur disant que cesarmes
suffisoient à celui qui aimoit mieux combattre sans embarras, & être tué
promptement, que de lutter long-tems contre la mort. Ensuite s'étant fait
apporter par son valet de chambre les clefs de la citadelle, il les fit coudre
à sa chemise, & avec ces clefs cent piéces d'or, pour la récompense de
celui qui le prendroit quand il auroit été tué. En cet équipage il vint trouver
les officiers & les soldats, qui l'attendoient dans la place d'armes, en
bataille, & on dit qu'il leur fit ce discours.
« Mes chers
compagnons & freres, le jour est enfin venu où nous devons acquitter la foi
que nous nous sommes donnée les uns aux autres.Comme nous avons vécu ensemble
en grande union, servant fidelement notre Prince & notre patrie, mourons de
même ensemble, dansune pleine confiance en lamisericorde de notre Dieu, pour
lequel nous combattons. Vous voyez l'état où nous sommes reduits: nous sommes
pressez d'un côté par le feu,'qui dévore tout ce qui nous environne, & de
l'autre, par la faim & par les cris lamentables de tant de femmes &
d'enfans. Il ne nous reste plus d'autre ressource que notre patience, notre
fermeté & notre constance, pour souffrir avec courage tout ce qu'il a plû à
Dieu d'ordonner. Il y auroit non-seulement de la lâcheté, mais de l'imprudence
à capituler avec un ennemi, dont nous avons si souvent éprouvé la perfidie.
Ainfi ayant pour
nous & la protection de Dieu, & le témoignage de notre conſcience,
allons à l'ennemi avec la même ardeur, avec laquelle nous avons déjà soûtenu
tant d'assauts; allons, avant que le feu
vienne nous consumer. Allons acquerir une gloire immortelle. si nous mourons,
nous laisserons à la posterité le glorieux souvenir d'un courage héroïque; mais
peut-être réüſsirons-nous à sauver nos vies, en nous ou vrant un passage au
travers des ennemis. »
Ayant dit ces
paroles, & prononcé trois fois, Jesus, à haute voix, le Comte précédé de
l'étendart du Gouverneur, qu'il avoit donné à porter à Laurent Jurzniski, fait
ouvrir les portes de la citadelle: en même tems il fait tirer un mortier ehargé
à cartouches, afin que la fumée pût le dérober aux yeux des ennemis. Il sort
alors à la tête de ses gens, tenant son épée nuë d'une main, & un petit
bouclier de l'autre. Après avoir quelque
tems combattu sur le pont, il est environné de toutes parts par les
Jannissaires, & essuye une grêle de flêches. Il tombe enfin mort de trois
blessures. Ceux qui le suivoient, le voyant tomber, voulurent rentrer dans la
citadelle; mais les Turcs s'étant mêlez avec eux, il y eut de part &
d'autre un grand carnage; enfin les assiégeans se rendirent maîtres de la
place. On épargna les femmes & les enfans, qui furent reduits à une
captivité plus dure que la mort. Presque tous ceux qui resterent de la garnison
furent tuez. Un petit nombre se déroba à la mort, en prenant des turbans comme
les Turcs; & les Turcs eux mêmes en déroberent quelques-uns à la fureur du
soldat, dans l'espérance d'en avoir quelque rançon.
La prise de la
citadelle coûta beaucoup de sang aux Infidéles: il en périt trois mille, ou par
la chute des édifices, ou dans le combat, ou par le feu qui prit aux poudres,
ou d'autre maniere. Il y eut de part & d'autre un si horrible carnage, que
le sang couloit de toutes parts en abondance; & qu'on ne pouvoit marcher
dans la citadelle que sur des corps morts. D'un autre côté, on n'entendoit dans
le camp des Turcs que des cris & des gémissemens. Ainsi la douleur des
particuliers diminua la joie publique de la prise de Zighet. On coupa la tête
au comte de serin; & le commandant des Janissaires l'envoya à Soliman,
qu'il croyoit encore en vie. Mais Machmet, qui étoit alors à la tête des
affaires, l'envoya au gouverneur de Bude, qui la fit porter à l'Empereur Maximilien, enveloppée
dans une étoffe de soie. Maximilien fut touché, comme il devoit, d'un si triste
ſpectacle. Après avoir loüé hautement les vertus de cet illustre mort, il fit
remettre à Balthasar, fils du Comte, la tête de son pere, & promit de lui
donner en toutes occasions des marques de la reconnoissance qu'il avoit des
services importans que le comte de serin lui avoit rendus. Balthasar la fit
porter dans le château de Scacaturn, où il fit faire de magnifiques funerailles
à son pere, dont la tête fut mise dans le tombeau de ses ancêtres, dans
l'église de sainte Helene.
Les Turcs
perdirent à ce siége dix-huit mille cavaliers, sept mille Janissaires; &
entre les Chefs, Miserki, Ali Pertav, le premier Chiaoux ou chambellan, &
celui qui avoit le soin des finances, tous Bachas. Zighet, assiégé le 8 de
Juillet, fut pris le 8 de septembre.
Soliman étoit
mort d'apoplexie dans le camp dès le cinq du même mois, après avoir eu d'abord
quelques attaques d'épilepsie. Ce Prince se rendit illustre & recommandable
parmi les Turcs, par sa pieté, par sa justice, par sa grandeur d'ame, par sa
continence, & par sa bonne foi: il ne sembloit lui manquer que le vrai
culte de Dieu. Il avoit soixante & seize ans quand il mourut, & en
avoit regné quarante-six & demi. Il fut élevé sur le thrône de l'Empire
Ottoman le même mois que Charle Quint fut élu Empereur d'Allemagne. Quoique le
gouvernement des Turcs soit une espéce de gouvernement militaire, ennemi de la
paix, & qui en ignore les avantages, Soliman laissoit presque toûjours
l'intervalle d'une année entre deux expéditions. La plûpart de ses entreprises
furent heureuses: il augmenta ses Etats de la Hongrie en Europe, & de
l'Armenie en asie. Il eut aussi quelques revers de fortune l'année précédente;
au dehors, par le mauvais succès de l'entreprise de Malthe; & au dedans,
par la mort de deux de ses fils, & de tous ses petits-fils, qui auroient pû
conserver la paix dans sa maison & dans tout son Empire. On dit que trois
choses principales manquerent au bonheur & aux desirs de Soliman: la
premiere, de n'avoir pas reduit sous sa puissance la ville de Vienne, le
rempart & la clef de l'Allemagne, & qu'il prétendoit lui appartenir,
comme héritier de l'Empire, depuis que Mahomet son bisayeul avoit fait la
conquête de Constantinople: la seconde & la troisiéme, de n'avoir pû
achever la grande Mosquée d'une structure admirable, qu'il avoit commence à
Constantinople, & les aqucducs qu'il avoit entrepris à l'imitation des
Romains. si Soliman eût eu le bonheur de voir ces trois choses avant sa mort,
il se seroit regardé comme le plus heureux de tous les Potentats.
Mechmet premier
Vizir cacha assez long-tems la mort du sultan, avec beaucoup d'adresse & de
prudence; il fit même tuer pendant la nuit son premier Medecin, de peur qu'il
ne la divulgât. Ce Ministre appréhendoit que les Janissaires & les autres
gens de guerre l'apprenant trop tôt, n'excitassent des troubles dans le camp;
qu'ils ne voulussent, suivant leur coûtume, piller la tente & le trésor du
sultan, avec les effets des Chrétiens & des Juifs; qu'enrichis de ce butin,
& de ces prétieuses dépoüilles, ils ne refusassent d'obéïr à leurs Chefs;
& que personne n'eût assez de crédit & d'autorité pour les contenir
dans leur devoir. En effet s'il fût survenu dans l'armée Turque quelque
trouble, & si on y eût laisſé introduire la licence, ç'auroit été pour Maximilien
une belle occasion de remporter bien des avantages, dans une circonstance, où
il avoit à sa disposition une armée nombreuse, composée des plus belles troupes
de la Chrétienté, qui lui avoient été envoyées de toutes parts. Les Bachas, les
Officiers, & les Janissaires sur tout, demanderent avec beaucoup d'instance
à voir leur Prince, & ils commençoient à se douter de sa mort. Comme il y
avoit déjà des apparences de quelques mouvemens secrets, Mechmet jugea à propos
de les tromper adroitement. Il fit habiller le cadavre de Soliman, &
l'ayant fait mettre sur un siége élevé, il le fit voir de loin aux plus
curieux: tout étoit si bien disposé, que ceux qui le virent le crûrent vivant.
Après cette ſcéne, Mechmet faisant semblant d'avoir reçû les ordres de Soliman,
sortit de sa tente, fit assembler les Janissaires, & leur sit un discours
solide, pour les exhorter à presser le siége. Cependant la douleur d'avoir
perdu son maître le trahit; & on vit couler imprudemment de ses yeux
quelques larmes, qu'il ne put retenir. Il s'en apperçut sur le champ; & il
jugea, au bruit sourd qu'il entendit se répandre parmi les Janissaires, que
quelques-uns d'eux ayant vû ses larmes & ses yeux encore rouges, en avoient
conclu que le sultan étoit mort.
Alors il usa d'un
nouvel artifice; & cachant avec une présen ce d'esprit admirable le vrai
sujet de sa douleur, il leur déclara que ce n'étoit pas la mort de Soliman
qu'il pleuroit, puisqu'il étoit en vie, & presque gueri; mais qu'il
pleuroit sur tant de braves gens qui étoient dans l'armée, & sur lui-même;
parce que suivant les ordres exprès, & les menaces terribles de sa
Hautesse, ils étoient dans la triste nécessité ou d'emporter Zighet dans trois
jours, ou de perir tous au milieu des plus cruels supplices. Ces paroles prononcées
avec un visage si serieux & si triste, leverent tous les soupçons qu'on
avoit de la mort du sultan, & animerent tellement les troupes, qu'elles
résolurent de mettre fin à un siége, dont la Fortune sembloit jusqu'alors leur
avoir envié le succès. Ainsi effrayez ou persuadez par les discours de Mechmet,
ils donnerent un assaut général aux deux citadelles, & les emporterent.
Pendant que
Soliman faisoit le siége de Zighet, le bacha Pertaw, à la tête d'une armée de
quarante mille hommes, composée de Turcs & de Tartares, à laquelle il
joignit les troupes de Jean Prince de Transylvanie, & celles du Bacha de
Temeswar, marcha vers Giula, place très forte, située sur le lac de Zarcad,
près des frontieres de la Hongrie & de la Transilvanie. Elle avoit pour
Gouverneur Ladislas Kereczeni, qui avoit jusqu'alors fait la guerre contre les
Turcs avec beaucoup de courage & de vigueur. On crut que Pertaw avoit été
forcé par une inondation de se retirer, & d'abandonner le siége. Les
Imperiaux le poursuivirent, chargerent son arriere-garde, & taillerent en
piéces un grand nombre de ses gens; mais les eaux s'étant bien-tôt écoulées,
les Turcs revinrent, serrerent la place de très près, & la battirent sans
discontinuation pendant plusieurs jours. Les assiégez firent plusieurs sorties
de tems en tems: une nuit sur tout voyant que les assiégeans se relâchoient,
ils sortirent, lesattaquerent vivement, & en tuerent un grand nombre. Ils
se rendirent maîtres du canon, qu'ils se contenterentd'encloüer, n'ayant ni
voitures ni chevaux pour l'emmener. Enfin, après avoir soûtenu le siége pendant
oixante jours, Kereczeni eut une conférence avec George Bebech, principal
auteur de la derniere guerre entre Maximilien & Jean, & par une
capitulation signée le second jour de septembre, il rendit la ville, dont le
siége avoit commencé le deux de Juillet. Schwendi avoit néanmoins annoncé que
les Turcs devoient le lever dans trois jours.
La capitulation
portoit
entre autres
choses
, que la garnison seroit renvoyée vies & bagues sauves. Cependant
Kereczeni ayant été amené dans la tente de Pertaw, où il fut bien reçû, à peine
la garnison fut elle éloignée de mille pas de la place, qu'elle se vit attaquée
par deux bataillons Turcs. Les Allemands se défendirent d'abord avec beaucoup
de vigueur; mais étant bien inférieurs en nombre, ils furent enfin taillez en
piéces, à la reserve d'un petit nombre, qui à la faveur de la nuit se sauva
dans des roseaux peu éloignez. Le capitaine Bernard Rotenaw, qui étoit de ce
nombre, alla trouver l'Empereur, accusa Kereczeni, & assura qu'il avoit
trahi S. M. Imperiale, & livré Giula. Les Hongrois néanmoins, qui avoient
été présens à la capitulation, l'excusoient, & rendoient témoignage qu'il
n'avoit rien fait, sans en communiquer auparavant avec les Allemands; que dans
le Conseil il avoit toûjours été opposé à la reddition de la place, mais que
les Allemands vaincus en partie par la nécessité, & en partie par les
conditions honorables qu'on leur proposoit, & par les promesses des
ennemis, avoient obligé le Gouverneur à se rendre.
Quoi qu'il en
soit, soit que ce fût par lâcheté ou par trahison qu'il eût rendu Giula aux
Turcs, il en fut cruellement puni l'année suivante. Vers ce tems-là George
Thuvri, dans un combat entre les Imperiaux qui étoient à Javarin, & les
Turcs qui étoient à Albe-Royale, fit prisonnier Mahumet gouverneur de cette
derniere place, qui se racheta depuis pour la somme de 50,000 écus d'or.
Kereczeni avoit esperé d'être échangé avec Mahumet, parce que son fils devoit
épouser la fille d'Arach, qui avoit une charge considerable" à la Cour de
l'Empereur, & quiavoit Mahumet en son pouvoir. Mais l'échange ayant été
differé, je ne ſçai pour quelles raisons, Kereczeni fut conduit de Belgrade à
Constantinople. Là plusieurs se plaignirent des mauvais traitemens qu'ils avoient
reçûs de lui, contre les regles de la guerre; & on l'accusa d'avoir fait
couper le nez aux uns, d'avoir fait fendre la bouche aux autres, & d'en
avoir fait mourir un grand nombre par divers genres de suplices. selim nouvel
Empereur des Turcs, touché de ces plaintes, l'abandonna à ses accusateurs,
& leur permit de le punir à leur fantaisie. Ils l'enfermerent dans un muid
armé en dedans de gros clous pointus, & le précipiterent du haut d'une
montagne en bas, où il mourut au milieu des douleurs, qu'un si horrible suplice
dut lui faire souffrir.La malheureuse destine du pere influa sur le fils, qui
mourut peu de tems après, sans laisser de posterité: ses terres, ses maisons,
& ses autres biens, qui étoient immenses, tomberent en des mains
étrangeres.
Ainsi furent prises
par les Turcs dans le même tems les deux plus fortes places de la Hongrie,
Giula & Zighet. Les plus sages & les plus expérimentez jugerent que
l'Empereur & son Conseil de guerre avoient bien manqué de prudence, de
s'être tenus dans leur camp sans rien faire, de n'avoir pas détaché d'une armée
si nombreuse quelques troupes, pour renforcer les garnisons de ces deux places,
& les mettre au moins en état d'en retarder la prise. Car il est certain,
que si après la mort de Soliman les Turcs eussent trouvé plus de difficultez à
surmonter dans l'un & l'autre siége, les troupes, & principalement les
Janissaires, qui appréhendoient alors de périr, & qui en étoient menacez,
auroient excité quelques troubles dans le camp; sur tout ne ſçachant si Soliman
étoit mort ou en vie; & la ruse du. Vizir auroit été inutile. Mais la mort
de Soliman étant arrivée, lorſque Giula étoit déjà renduë, & que Zighet ne
pouvoit plus tenir long-tems, il fut aisé à un Ministre aussi habile &
aussi puissant, de la cacher.
Après la prise de
ces deux places importantes, les Turcs s'abandonnerent à la joie, & les
troupes coururent de tous côtez pour piller. Mechmet, homme d'ailleurs très
ſévére, & accoûtumé à faire observer aux troupes une éxacte discipline, ne
fut pas fâché dans les circonstances présentes de les voir se rejoüir, &
penser à toute autre chose, qu'aux affaires de l'Etat; jusqu'à ce que selim,
averti de la mort de son pere, pût se rendre à Constantinople, & de là au
camp, après avoir donné ordre à tout. En effet, aussi-tôt après la mort de
Soliman, Mechmet avoit écrit en diligence à selim, dont il avoit épousé la
fille, & qui étoit alors à Mangresia, ville de la Natolie, à trois journées
de Constantinople: sa lettre étoit signée par le Capi-Aga, & par le
Medecin. selim l'ayant lûë, vint sur le champ & très secrétement à Scutari,
vis-à-vis de Constantinople, où ayant été reçû dans la Capitane, selon la
coûtume, par le Bostangi-Bachi, il arriva à Constantinople au - delà du
Bosphore. Il avoit auparavant envoyé avertir Scander Bacha, que Soliman avoit
laisſé pour Gouverneur dans la ville, de hâter avec soin tout ce qui étoit
nécessaire pour la pompe funébre, & pour son entrée. Aussi-tôt que selim
fut dans Constantinople, Scander le conduisit dans le Palais & dans le
serail, où il s'assit sur le thrône Imperial, dans une grande salle enrichie de
perles, & de tout ce que l'ostentation & le faste de ces barbares ont
pû trouver de plus prétieux, & qui ne peut être occupée que par les sultans
de la race des Ottomans. Ensuite on fit dans la ville les acclamations
ordinaires: Que l'ame du grand sultan Soliman joüisse d'une paix & d'une
béatitude éternelles, & que sa mémoire soit toûjours en benediction: Que le
sultan selim vive long-tems, & qu'il regne sous d'heureux auspices, &
que son Empire s'affermisse & s'augmente.
On fit la même
chose dans la Romanie & dans les autres Provinces, afin qu'on apprît en
même tems par tout, que le pere étoit mort, & que le fils avoit pris
possession de l'Empire. Le lendemain, qui étoit le 24 de septembre, selim
sortit du Palais pour se faire voir au Peuple; & étant monté à cheval, il
alla jusqu'au tombeau de Job, qui est un lieu proche les murailles de
Constantinople, où les Ottomans ont coûtume de faire une espece de sacrifice.
Là, après avoir fait tuer un grand nombre d'animaux, & fait cuire des
viandes en quantité, selim fit donner aux pauvres le festin funébre, qu'il
accompagna d'une grande distribution d'argent, & revint dans la ville avec
la même pompe & les mêmes acclamations du peuple. Cependant le sultan avoit
donné ordre à Scander Bacha, de faire venir de tous les lieux d'alentour les
Janissaires, qui ne ſçavoient pas encore la mort de Soliman, & de les
assembler dans un bourg assez près de Constantinople, sous pretexte d'envoyer
un renfort au siége de Zighet. Comme selim étoit déjà sur le thrône de son
pere, Scander leur fit un discours, pour leur apprendre & la mort de
Soliman, & l'heureux avénement de son fils à l'Empire. Afin de les
dédommager du pillage qu'ils ont coûtume de faire à la mort du sultan, il leur
offrit 100,000 sultanins. Cette liberalité du nouveau Grand-Seigneur ne déplut
pas aux Janissaires; & ils s'en contenterent, à condition qu'on leur
donneroit à l'avenir une plus forte paye, lorſqu'ils iroient à la guerre.
Après ces
premieres démarches, & après s'être assuré des Janissaires, selim partit de
Constantinople le 27 de septembre, & se rendit en diligence à son armée,
qu'il rencontra près de Belgrade. Elle étoit encore incertaine de la mort de
Soliman, dont le corps étoit porté dans une litiére magnifiquement ornée, &
couverte de tous côtez. si Soliman n'avoit pas été malade, après de si heureux
succès, il auroit dû marcher à cheval, & comme en triomphe, pour prendre
part à la joie publique. Mais comme on avoit ſçû sa maladie, & que pendant
sa vie il se servoit quelquefois d'une litiére, lorſqu'il avoit la goute,
l'armée fut moins surprise de le voir couché, comme malade, dans cette voiture.
Cependant les Janissaires voyant l'habillement de selim, se douterent de ce qui
en étoit. En effet ce Prince approchant du camp, avoit mis un turban fort
court, & de peu de valeur, & il s'étoit revêtu d'une robe & d'un
caffetan noirs. Aussi-tôt qu'il apperçût la litiére, il descendit de cheval,
avec tous les Bachas & tous les Ministres de la justice, appellez
Cadileskers, qui étoient tous habillez bresque comme lui. Alors on ouvrit la
litiére, selim versa des larmes sur le corps de Soliman; & ordonna qu'en
signe de tristesse, on portât dans toute l'armée les étendarts renversez. A ce
ſpectacle, il se fit pendant quelque tems un profond silence, pendant lequel
selim mit sur sa tête un turban blanc, & tout brillant de pierreries. Puis
s'étant revêtu de l'habillement Imperial, il monta sur un autre cheval destiné
à de pareilles cérémonies, & qui ne peut être monté que par le sultan. Les
Bachas, & les autres Grands de l'Empire, monterent aussi à cheval, & on
recouvrit la litiére. Ensuite on arbora les Enseignes du nouveau sultan, aux
acclamations de toute l'armée, qui salua selim en qualité de son Empereur;
& chacun, selon son rang, lui vint baiser les mains, en signe de soûmission
& d'obéïſsance.
Après avoir fait
les largesses ordinaires aux Janissaires & aux peuples, il ordonna que le
corps de son pere fût porté à Constantinople, & mis dans le Mausolée appellé
Zuna, que Soliman s'étoit fait faire de son vivant, & il en donna la
commission - à Achmeth Bacha, qui avoit épousé une petite fille de so-liman,
& à Ferhat Capi-Aga. Ils conduifirent le corps, accompagnez des Gouverneurs
des provinces, & des Janissaires,
& précédez de l'étendart Imperial, & arriverent à Constantinople
le 22 de Novembre. Le corps fut reçû par une troupe innombrable de peuple,
ayant à sa tête celui que les Turcs apellent Muphti, qui est parmi eux le chef
de la Religion, & la premier docteur de la Loi. Le Muphti étoit suivi de
Scander Bacha gouverneur de la ville. Après lui marchoient les of ficiers de la
Chambre, ou trésoriers, appellez Dephterdars, & les autres officiers, tous
en deüil. Enfin la marche étoit terminée par une multitude infinie de toute
sorte de personnes. On tira de la litiére le cercuëil de bois où étoit le corps
de Soliman: les principaux Officiers le soûtenant tour à tour sur la paume de
leurs mains élevées, le portoient dans les ruës de la ville. Les Talismans
& les Hoggis (c'est ainsi qu'ils appellent leurs Prêtres) ne cesserent
pendant toute la marche de jetter des cris lamentables, & de chanter d'une
maniere triste & lugubre, suivant l'usage des Musulmans, jusqu'à ce qu'on
fût arrivé au lieu de la sepulture. Le corps ayant été mis dans le Mausolée, on
étendit sur la biére un drap tabisé, & un autre broché. On mit à côté un
Cimeterre, pour marquer que le sultan avoit été un grand guerrier, & à sa
tête un turban d'une toile très blanche, très fine & très plisſée, avec une
aigrette noire de plumes de Heron. On plaça derriere sa tête, sur le pavé, des
chandeliers avec de gros cierges ronds, de forme pyramidale, qu'on n'allume
jamais. Enfin on y laissa les Prêtres dont nous avons parlé, & qui assis
par terre, & ayant les jambes écartées, suivant l'usage superstitieux de
cette Nation, ne cessoient de reciter des prieres à la tête du défunt.
Avant que selim
fût venu à l'armée, & aussi-tôt après la
prise de Zighet, il envoya des troupes pour assiéger Babotzka. On somma la garnison de rendre la place: elle
le réfusa d'abord; mais voyant qu'elle n'étoit pas en état de la défendre
contre de si grandes forces, elle y mit le feu, & l'abandonna. Ceux de Sacka
& de Schorgo suivirent leur exemple. Les Turcs s'étant mis ensuite à piller
dans l'esclavonie, furent souvent battus par les troupes de Charle, frere de
Maximilien.
Dans un combat
donné auprès de la Sluna, il en mit quatre mille en fuite, fit prisonnier le
Bacha de Bosnie, & auroit sans doute défait tous les autres, si dans la
crainte qu'il avoit d'une armée si formidable, qui se répandoit de toutes
parts, il ne se fût pas contenté d'être sur la défensive, & s'il n'eût pas
retenu ses troupes dans son camp, entre le Save & le Mure, au près de
Czakhonthurn, tandis que les Turcs pillant de tous côtez, & mettant tout à
feu & à sang, faisoient des courses jusqu'à Sarwar, qui n'est qu'à deux
milles d'Oedenbourg, sur les frontieres du Norgav.
Comme l'hyver
approchoit, selim quitta peu de tems après la Hongrie, & donna ordre à
Perthaw Bacha, d'envoyer des Turcs, des Valaques, & des Tartares à Jean
prince de Transylvanie, pour pouvoir continuer la guerre contre l'Empereur.
Etant en chemin, le sultan rencontra auprès de Belgrade Hozzuthothi ambassadeur
de l'Empereur, qui avoit été envoyé, comme nous l'avons dit, à Constantinople,
pour faire des propositions de paix. Mais ayant appris la mort de Soliman, il
s'étoit mis en chemin pour retourner à Vienne. Il ne put ni voir, ni entretenir
selim. Le Vizir Mechmet se contenta de lui dire, qu'ayant été envoyé à Soliman,
qui étoit mort, il n'avoit pas de pouvoirs pour traiter avec selim; que si son
maître vouloit obtenir quelque chose du nouveau sultan, il envoyât un autre Ambassadeur,
ou qu'il le renvoyât lui-même avec de nouveaux ordres. Le Vizir ajoûta, que
Maximilien seroit bien mal conseillé, s'il n'envoyoit promptement demander la
paix au très puissant Empereur; & qu'il auroit bien mieux fait d'observer
fidélement les traitez faits avec Ferdinand: Qu'il s'étonnoit de la hardiesse
qu'il avoit euë de déclarer témérairement la guerre à un Prince si puissant;
que l'on connoissoit maintenant la foiblesse de Maximilien; que c'étoit un
grand bien pour lui, que Soliman fût mort; que s'il eût survêcu à la prise de
Zighet, il auroit bien trouvé les moyens de faire repentir Maximilien, &
tous les Allemands, de leur audace.
No comments:
New comments are not allowed.